Brancas; Les amours de Quaterquem | Page 4

Alfred Assollant
poitrine du duc de Guise. Voyez �� la pointe cette tache qu'on a respect��e. C'est une goutte du sang du Balafr��. Un petit neveu de M. de Loignac, ��migr�� vers 1792, vendit sa dague �� un boyard russe dont le fils est mort �� Clichy. C'est de lui que je tiens cette lame admirable, dont Bermudez emprunta le secret aux fabricants d'Alep et de Damas.
--Pardonnez-moi mon ignorance, dit l'avocat, et dites-moi, je vous prie, qui ��tait ce merveilleux Bermudez?
--C'��tait un alchimiste de Valence qui cherchait la pierre philosophale en Orient, vers 1520. Suivant l'usage, il donna son ame au diable et re?ut en ��change par l'entremise d'un fabricant d'Alep, l'art de combiner le platine avec l'acier, ce qui donne aux sabres une trempe irr��sistible. Il apporta ce secret en Europe, avec beaucoup d'autres, et s'acquit une grande r��putation. Par malheur, la sainte inquisition, le voyant peu assidu �� la messe, car les voyages et les sciences occultes profitent rarement �� la pi��t��, le fit br?ler en grande pompe �� Valence l'an 1536 de notre ��re.
--Il faut avouer, monsieur, dit l'avocat, que vous ��tes un savant homme.
--Je cherche �� me faire pardonner mes millions, r��pliqua Oliveira. Au reste, vous trouverez ce r��cit tout au long dans l'Histoire des alchimistes, sorciers et autres supp?ts du diable dans les royaumes de Valence et d'Aragon, par le P. Bunardez, in-4o. S��govie, 1640. Le seul exemplaire qui existe en France est d��pos�� �� la biblioth��que de Vieilleville, sous la garde du sieur Krantz, ancien artilleur, le plus hargneux des hommes.
--Quoi! parmi tant d'affaires vous trouvez le temps de lire les histoires du P. Bunardez?
--Oh! je n'ai pas ��t�� toujours l'homme affair�� que vous voyez. Quand j'��tais clerc d'huissier j'avais bien des loisirs?.
Le conseiller d'��tat sourit en regardant son neveu.
?Comment peut-on ��tre clerc d'huissier! reprit Oliveira. N'est-ce pas ce que vous voulez dire? Je vous jure, messieurs, qu'il n'y avait pas de ma faute; j'aurais beaucoup mieux aim�� ��tre duc et pair. J'ai quitt�� le m��tier aussit?t que je l'ai pu; mais enfin il fallait vivre, et je recevais de mon patron, tous les jours, une cro?te de pain et une tranche de saucisson, qui m'aidaient merveilleusement �� supporter la vie. Entre deux assignations j'allais �� la Biblioth��que et au Mus��e.
?J'admirais la V��nus de M��dicis, si fr��le et si d��licate, et je regardais avec ��tonnement la V��nus de Milo qu'on fait semblant d'admirer et qui n'est qu'une grande femme assez mal proportionn��e. Je lisais Winckelman dans une traduction et Clarisse Harlowe en anglais, sans oublier pour cela les livres du bon Rollin et la m��taphysique de Schelling; enfin j'envoyais des r��bus au journal de Vieilleville. J'acquis en peu de temps la r��putation d'un savant et d'un esprit bizarre, incapable de faire fortune dans les citations, notifications et significations.
?Je fus mis �� la porte de l'huissier et perdis ainsi le pain et le saucisson. Le soir m��me je re?us la mal��diction de mon p��re et l'ordre de m'enr?ler dans l'arm��e fran?aise. J'avais alors dix-huit ans, nulle ressource et un app��tit f��roce. Qu'auriez-vous fait �� ma place?
--J'aurais ob��i, dit le conseiller d'��tat et port�� le sac avec r��signation.
--Et vous, monsieur?
--Je ne sais, r��pondit Brancas; peut-��tre aurais-je essay�� de planter des choux.
--On voit bien que vous n'avez jamais ��t�� expos�� �� cette infortune. Pour moi, qui sentais mon g��nie, ��tre ouvrier ou soldat, c'��tait la mort. Un vieux professeur de latin, sous qui j'avais d��chiffr�� Tite-Live, me donna vingt francs et le Prodomus philosophi? instaurand?, de Campanella, qui ��tait son auteur favori. Muni de ces deux viatiques, j'entrai dans Paris le 8 d��cembre 1819.
--Voil�� un magnifique pr��sent, dit en riant le conseiller d'��tat.
--C'��taient toutes les ��conomies du vieux latiniste, et la moiti�� de sa biblioth��que, dont un Anacr��on d'Henri Estienne formait l'autre moiti��. Il vivait de pain et d'eau, comme presque tous ses confr��res, en comparaison de qui les anes et les chameaux du d��sert de M��sopotamie sont des goinfres. Du reste, gai et sans souci, comme s'il e?t ��t�� propri��taire des mines de Potosi. Je voulus le remercier--?Prends donc, me dit-il brusquement, �� quoi ces vingt francs peuvent-ils me servir? C'est trop peu pour jouir, c'est assez pour entreprendre.? J'embrassai tendrement le vieux latiniste et je partis nu-pieds pour m��nager mes souliers.
--C'est avec le Prodomus philosophi? instaurand? que vous avez fait fortune?
--Oui, messieurs, dit Oliveira. Rappelez-vous le cordier des Mille et une Nuits. On lui donna un morceau de plomb. Ce morceau de plomb servit �� raccommoder le filet d'un p��cheur; le p��cheur prit un esturgeon et le donna au cordier; l'esturgeon avait aval�� un diamant qui valait cent mille pi��ces d'or, et le cordier devint l'un des plus riches seigneurs de Bagdad. C'est mon histoire. En quinze jours je d��pensai mes vingt francs, et me retrouvai seul avec mon Campanella, sans travail et sans asile. Le seizi��me
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