Brancas; Les amours de Quaterquem | Page 5

Alfred Assollant
jour, j'errais �� jeun le long des quais, feuilletant tous les bouquins et mesurant de l'oeil la profondeur de la Seine. Tout en feuilletant et en soufflant dans mes doigts, car il faisait grand vent, je fus remarqu�� d'un bouquiniste, petit vieillard tr��s-vert, au nez pointu, aux l��vres minces et serr��es, au front rejet�� en arri��re, assez semblable au c��l��bre portrait que David a laiss�� de Robespierre.
?C'est un Campanella que vous tenez sous le bras, me dit-il d'un air de convoitise.
--Oui, monsieur, c'est le Prodomus philosophi? instaurand?, livre rare, ��dition princeps.
--Oh! moins rare que vous ne croyez,? me dit-il.
�� ce trait, je reconnus un acheteur, et je me tins sur mes gardes.
?Cela vaut bien trente sous, continua-t-il en mettant la main dans son gousset.
--Trente sous! m'��criai-je en riant avec m��pris, une ��dition princeps!
--Trois francs si vous voulez, dit-il, et n'en parlons plus?.
Je haussai les ��paules et je fis mine de partir.
?Mon livre n'est pas �� vendre?. Il me saisit le bras, et, d'un air suppliant:
?Voyons c'est une fantaisie ruineuse, mais enfin c'est une fantaisie, voil�� trente francs, laissez-moi le livre?.
Je lui donnai le Prodomus.
?Bon! lui dis-je, j'ai de quoi vivre trois semaines?.
Il se retourna stup��fait.
?Comment! c'est votre derni��re ressource, et vous avez su m'arracher trente francs! Jeune homme, vous avez le g��nie du commerce, restez avec moi, je vous formerai, et vous ne me quitterez que pour devenir millionnaire?.
J'acceptai. Le petit vieillard ne mentait pas. En peu de temps, je connus tous les secrets du m��tier, et je commen?ai �� r��ver d'autres destin��es. Une fois, je vis repr��senter un vaudeville, et je m'��criai, comme le Corr��ge: Moi aussi je suis peintre! Six mois apr��s, mes vaudevilles se comptaient par douzaines, et par douzaines aussi mes succ��s. �� vingt francs cinquante centimes de droit d'auteur par repr��sentation, le th��atre ne se ruinait pas, et je commen?ais �� faire fortune. Je n'ai jamais eu moins de trente ou quarante repr��sentations. J'avais trouv�� la recette du vaudeville. Vous la connaissez, je pense?
--Assur��ment, dit le conseiller d'��tat, mais nous serons bien aises de l'apprendre d'un ma?tre de l'art.
--Mon Dieu! reprit modestement Oliveira, ce n'est pas plus difficile que de faire du cassis ou du sirop de groseilles. Voyez plut?t: Un homme met son paletot sur une table et sort: un autre arrive, qui est ma?tre de la maison et mari��. Ce paletot lui donne �� penser. Voil��, dit-il naturellement, un paletot qui est l'amant de ma femme. Le paletot, le mari, la femme, la servante, le petit clerc si le mari est avou��, entrent, sortent, se croisent, s'expliquent, se querellent, se choquent, se heurtent pendant un, deux ou trois actes au gr�� de l'auteur. Quelques-uns ont pouss�� jusqu'�� cinq actes, mais c'est une t��m��rit�� qui r��ussit rarement. Ajoutez-y des couplets, des grimaces et des calembours, et extirpez soigneusement toute trace de bon sens, vous aurez un excellent vaudeville.
?�� ce m��tier, j'amassai promptement une dizaine de mille francs, et je renvoyai �� mon vieux professeur ses vingt francs et une pipe turque garnie d'argent cisel�� qui venait de feu Bara?ctar, Grand vizir de la Sublime-Porte. Devinez je vous prie, quelle fut la r��ponse du bonhomme.
--Il refusa net?
--Non. Il garda la pipe du vizir et renvoya les vingt francs avec cette r��ponse.
?Mon cher enfant, ces vingt francs ne peuvent appartenir ni �� moi qui les ai donn��s, ni �� toi qui n'en as plus besoin. Donne-les au premier pauvre diable que tu rencontreras, �� condition qu'il les donnera lui-m��me �� un autre, et cet autre �� un troisi��me, d��s qu'il sera sorti d'embarras. Par l��, nous serons, toi et moi, bienfaiteurs �� bon march�� jusqu'�� la fin des si��cles. Adieu, porte-toi bien, ne fais pas trop de vaudevilles, car il n'est pas toujours sain de faire rire le public; ne t'enrichis pas trop vite, et si tu trouves quelques pinc��es de bon tabac d'Argos pour bourrer la pipe du seigneur Bara?ctar, n'oublie pas ton vieil ami.?
En ce moment, un domestique s'approcha d'Oliveira et lui dit quelques mots �� voix basse. Oliveira sortit.
?Eh bien! que penses-tu de ton beau-p��re? dit le conseiller d'��tat.
--Ses cigares sont excellents, dit l'avocat, mais son r��cit ��tait un peu long.
--Il aime �� se vanter. Les parvenus d'autrefois cachaient leur origine comme le Nil cache ses sources. Ceux d'aujourd'hui mettraient volontiers dans leurs armes les savates qu'ils ont raccommod��es. Tout est vanit��, comme dit Salomon. Au reste, Oliveira ne s'en fait pas trop accroire. Il a fait des journaux, il a fait la banque, il a fait le commerce des cuirs de la Plata et des M��ditations de Lamartine; enfin, il a fait fortune et je te jure qu'il a bien gagn�� ses millions. Voici Mlle Rita qui s'avance portant deux tasses de th��. Passons au salon. Le moment est favorable pour entrer en mati��re et faire ta cour. Va donc, et bonne

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