Bouddha | Page 8

Jules Claretie
sur les quarts de fer-blanc... Tout �� coup la lune se l��ve, montre sa lueur rose �� travers les nuages, et soudain, de cette longue file d'hommes en marche une voix s'��l��ve, que j'entends encore, avec un accent toulousain, une voix bien timbr��e et qui salue ce lever de lune de la vieille chanson du pays:
Au clair de la lune, Mon ami Pierrot...
Et crac, mon cher, �� cette vieille chanson du berceau, �� ce refrain de m��re-grand, les fronts se redressent, les jarrets se raffermissent--en avant! au clair de la lune, mon ami Pierrot--et cette nuit-l��, si on l'e?t voulu, en chantant on e?t doubl�� l'��tape!
Moi aussi, j'avais ma chanson, mon coup d'��peron! Je ne demandais pas l'ami Pierrot une plume pour ��crire un mot; mais j'��voquais Bouddha, le doux Bouddha, le Bouddha qui bouda la petite Mousm��e, et je fredonnais le refrain d'Antonia, qui me faisait l'effet d'un clairon invisible. Et pas un moment de fatigue avec la diane et les airs de marche sonn��s par cette musique du boulevard! De quoi est fait l'h��ro?sme, Roger! Si j'avais donn��, pendant cette campagne, l'exemple d'une belle mort, tu sais, l��, �� la Plutarque, l'histoire aurait toujours ignor�� que je puisais cet h��ro?sme dans un petit refrain d'op��rette!
Ah! Bouddha, Bouddha, Ah! Bouddha, Bouddha, Que tu m'as fait de la peine!
Au clair de lune ou autrement, la colonne avan?ait toujours. Fin f��vrier, nous n'��tions plus qu'�� huit kilom��tres de Tuyen-Quan. Fichu pays: la flottille, qui nous accompagnait par la rivi��re Claire, ��tait forc��e, tant il y avait d'��chouages, de tra?ner parfois ses canonni��res �� bras. Nous, dans les hautes herbes, nous nous coupions les mollets aux bambous taill��s en ciseaux qu'y avaient spirituellement cach��s les Chinois. Et pas un ennemi visible. On le sentait, on le devinait partout, aux foss��s creus��s, �� la terre remu��e, �� ces bambous affil��s comme des rasoirs: on ne le voyait nulle part. Tout �� coup, le 2 mars, des auxiliaires tonkinois, entr��s dans les herbes jusqu'�� mi-corps, re?oivent une gr��le de balles et voient, comme des chats-tigres, les Pavillons-Noirs bondir sur les bless��s pour leur couper la t��te...
Nous sommes �� Yuoc, en face des positions vraiment formidables, et tr��s savantes, mon cher, ��tablies par le vieux Liuh-Vinh-Phuoc. Entre nous et Tuyen-Quan, entre nos troupiers et les ?camarades?, l'arm��e du Yun-Nam, bons soldats dont quelques-uns, ayant jur�� de mourir plut?t que de reculer, s'��taient fait tatouer au front d'une croix rouge. Et ce sont ces fanatiques et ces combattants de toutes les aventures qu'il faut bousculer, enfoncer, crever, avant d'arriver �� la garnison que commande Domin��!
--Allons! mes enfants, encore un effort!
Un effort! Toujours un effort! Taran, taran! Tarataratata, tarataratata! La charge sonne. Ran, ran, ran, ran! Et moi je fredonne Bouddha! Ah! Bouddha, Bouddha! En avant! en avant! Deux fois l'infanterie de marine, bataillon Mahias, attaque les Chinois. Deux fois les Chinois la repoussent. On est �� deux cents m��tres de l'ennemi quand la nuit vient. Deux cents m��tres! Et la pluie tombe! Les hommes ralent dans les herbes. On allume, pour ramasser les bless��s, des allumettes mouill��es... Quelle nuit, mon cher! Ce brouillard humide, cette douche glac��e qui d��laye le sang dans la boue pi��tin��e, ces ennemis qui sont l�� et qui tirent; le bruit des balles qui sifflent et de l'eau qui d��goutte; ?a ne s'oublie jamais, ces impressions-l��.
Je m'��tais avanc�� assez pr��s des lignes chinoises, entendant les Pavillons-Noirs parler de leurs voix gutturales. Tout coup, au milieu d'une d��charge de fusils, je re?ois sur les pieds une masse qui roule. Je me penche, croyant �� un projectile... C'��tait une t��te, une t��te coup��e de petit paysan de France que les Chinois nous envoyaient �� travers les herbes comme une menace et un d��fi. Ah! je ne le chantais m��me plus le refrain d'Antonia! J'attendais le petit jour avec une rage sourde, un app��tit sauvage de vengeance et de mort. Et le jour arriv��, ce jour gris de mars qui allait ��clairer tant de cadavres, vive Dieu! comme nous enlevames nos turcos!
--En avant, les Alg��riens! En avant! Les amis attendent!
Et �� l'assaut! A l'assaut des retranchements chinois! A l'assaut! Il s'agissait d'arracher aux ongles des hommes jaunes les assi��g��s qui haletaient, attendant nos troupiers comme le Messie. A l'assaut! Elles couraient lentement, les vestes bleu de ciel de mes enfants d'Afrique! Les redoutes, les tuyaux de bambous, les feux crois��s, les obusiers, les fusils de rempart, rien ne les arr��tait. Rien. Ils sautaient dans le feu, bondissaient dans l'enfer. Une mine ��clate. La terre tremble. Nous avons les poils roussis et les v��tements br?l��s. Quarante turcos de ma seule compagnie disparaissent comme dans un crat��re de volcan. En avant! en avant! On n'entend pas les cris de mort, tant nos chacals poussent des cris de rage. Les balles sifflent, les boulets ronflent, les fougasses ��clatent.
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