Bouddha | Page 9

Jules Claretie
En avant! Les turcos sont d��j�� dans les retranchements, clouant aux fascines de bambous les volontaires au front crois�� de rouge, ��tranglant les Chinois, mordant au sang, comme des loups, ces Pavillons-Noirs qui se d��fendent comme des lions... Je n'ai jamais vu motte de terre p��trie de tant de sang!
Et, les retranchements emport��s, mes tirailleurs sautent hors des tranch��es, poursuivant les C��lestes et leur arrachant leurs pavillons �� t��te de mort... J'avais, comme eux, la fi��vre, la ?furia? de cette chasse �� l'homme. Tout en avant de mes hommes, revolver au poing, je poussais devant moi la cohue des soldats en d��route, et qui jetaient leurs armes en se retournant pour tirer. Au loin Tuyen-Quan, encore debout, montrait sa silhouette d��chiquet��e... A mi-chemin, mon cher, une poign��e de Pavillons-Noirs s'arr��ta net, dans une sorte de pagode abandonn��e et, me voyant maintenant suivi de quelques hommes seulement, ouvrit vivement le feu pour nous couper la marche. Mes turcos ��taient enrag��s. Nous nous lan?ons dans la cour gazonn��e qui pr��c��de toute pagode, puis, en trois bonds, dans la pagode m��me d'o�� les balles sortaient, et nous voulons en d��loger ces vaincus qui n'entendent pas fuir.
Pas de porte �� la pagode; du seuil, nous apercevons seulement un trou noir, ray�� de coups de feu. Nous entrons. Une fusillade abat �� mes c?t��s trois de mes hommes, et je p��n��tre presque seul dans cette bauge laqu��e et dor��e, au fond de laquelle, comme des sangliers forc��s, les Pavillons-Noirs nous attendent. Je verrai toujours ce spectacle, je te dis: des cadavres sur les dallages, les colonnes avec leurs inscriptions dor��es envelopp��es de fum��e, des silhouettes bizarres et m��l��es de dieux et d'��tres vivants, tous grima?ants, depuis ce dieu tout vert que nos troupiers appelaient le diable, jusqu'�� des r��guliers chinois arm��s et faisant feu; et au fond, au milieu de ces idoles peinturlur��es, et de ces Pavillons-Noirs adoss��s aux parois rouges de la pagode, une statue de Bouddha, un grand Bouddha, un Bouddha de la taille d'un enfant de dix ans, et qui flambait, tout entier d'or rouge, sous un rayon de jour entrant par le toit de cette pagode, crevass�� par quelque obus.
Du grouillement des Chinois qui nous tiraient dessus, de ces ennemis tapis derri��re et nous envoyant leurs coups de fusil presque �� bout portant, je ne regardais rien, hypnotis��, que ce Bouddha, l��-bas dress��, superbe et m'apparaissant comme dans une gloire. Et--on dit que les gens qui se noient revoient en quelques secondes toute leur vie pass��e, brusquement, en avalant leur derni��re gorg��e--la vision du petit h?tel de l'avenue Kl��ber me traversa la pens��e comme un ��clair, et l'or rouge du Bouddha ��voqua subitement les tresses, teintes au henn��, de la chevelure d'Antonia... Oh! pas longue, du reste, la vision! Une balle emporta mon casque blanc, mon tropical helmet, et les cinq hommes que nous ��tions, entr��s dans la pagode, nous f?mes contraints de reculer, comme ��cras��s, encercl��s par les Chinois, qui sortaient de partout, de derri��re ces idoles d'or, grouillaient, nous enserraient et cassaient la t��te devant nous �� un de mes turcos en faisant siffler leur _coupe-coupe_ autour de nous...
Repouss��s, mon cher!... Et cette damn��e pagode vomissant litt��ralement des Chinois qui nous tiraient dessus, les trois hommes qui me restaient et moi, nous nous jetames derri��re un terrassement abandonn��, et--moi �� coups de revolver, mes turcos �� coups de fusil--nous t?nmes un moment ces gaillards-l �� distance. Au surplus, traqu��s dans la pagode, ils se donnaient simplement du champ pour fuir. Ils nous avaient crus tout d'abord plus nombreux, et, accul��s, ils voulaient mourir en tuant... Nous ayant repouss��s, ils continuaient leur retraite, ralliant les vaincus, vers les rapides du Fleuve Rouge.
Je les voyais fuir; mais, avec ces renards-l��, il y a toujours, un pi��ge attendre. L'id��e me tenait qu'il en restait encore dans la pagode, �� l'aff?t pour sauter sur nous.
--Attendons un moment! dis-je, mes turcos, qui sortaient d��j�� de l'abri de terre.
Et l'id��e du Bouddha me revenant, le Bouddha qui avait assist��, paisible, �� la tuerie de tout �� l'heure:
--Pourvu qu'ils n'aient pas emport�� le Bouddha!
J'avais �� peine dit cela machinalement tout haut, qu'un petit ��clat de rire clair, un rire d'enfant, partait �� mes c?t��s, comme une fus��e, et qu'un de mes Alg��riens,--vingt-cinq ans, mon cher, et beau comme un bronze antique,--se dressant sur la cr��te du terrassement, me disait:
--Tu veux, toi, le Bouddha, mon capitaine?... Tu vas l'avoir!
Et moi lui criant: ?Mohammed! Mohammed! je te d��fends...? il n'en courait pas moins, bondissait comme un chat vers la pagode, s'enfon?ait dans le trou noir, et je le suivais, l'appelant toujours, les deux autres Africains arrivant au pas de course sur mes talons...
Pauvre fou de Mohammed-ben-Sa?da! Il y a, �� Alger, une vieille femme, un a?eul et de jeunes fr��res qui l'avaient accompagn��, silencieux et r��sign��s, lorsqu'il s'��tait
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