Bouddha | Page 5

Jules Claretie
tout dans ce _Ah!_ Du chagrin, de l'��tonnement, du remords. Elle joignait ses jolies mains; elle contemplait, baiss��e �� demi, l��, par terre, le Bouddha sans t��te, la t��te sans corps!--_Ah!_
Et je ne riais plus. Je l'aimais, ce Bouddha. C'��tait, je te l'ai dit, un ami. Il me semblait que je venais de perdre un ��tre cher, que ce corps souffrait. Je ramassai le cadavre. ��caill��, l'or, ?�� et l��, tombant par squames; et la t��te avec un trou au front et le nez cass��. M��connaissable, mon pauvre Bouddha. Affreux, ��cras��! Plus laid encore que Lafertrille!--_Ah!_ disait toujours Antonia.
Elle murmura doucement, timide, un moment apr��s:
--On pourra le recoller... peut-��tre!
Puis, repentante, et me prenant des mains la t��te de Bouddha, qu'elle posa sur la chemin��e avec cette pr��caution qu'on a toujours lorsqu'un malheur est arriv��:
--Oh! vois-tu, j'en pleurerais!
Et elle allait pleurer, elle pleurait. Il y avait deux grosses larmes dans ses yeux. J'essayais de la consoler, tout en ramassant les d��bris de Bouddha, mais je n'y avais pas le coeur. Le massacre de cet innocent me navrait. Je cherchais des plaisanteries, je n'en trouvais pas.
--Qu'est-ce que tu veux, Antonia? Il n'y a pas qu'un Bouddha au monde, je t'en d��terrerai un autre!
--Ce ne sera pas celui-l��, dit-elle.
Jamais elle n'avait eu autant de justesse d'esprit, Antonia. C'��tait un peu tard, mais c'��tait fort juste: ?Ce ne sera pas celui-l��!?
Et _celui-l��_ faisait si bien sur la chemin��e! L'or rouge s'harmonisait avec les soieries des Kak��monos. La taille de Bouddha ��tait proportionn��e avec les figurines japonaises qui grima?aient dr?lement, ?�� et l��, sur les ��tag��res et les meubles. Il ��tait vraiment le centre, le pr��sident de ce congr��s de dieux et de demi-dieux du pays bleu. Antonia, calm��e, d��sol��e, muette, restait comme ab��tie devant sa victime. Elle ��tait, comme la petite mousm��e de l'op��rette, veuve de ce Bouddha qu'elle avait extermin��!
[Illustration 05.png]

[Illustration 06.png]
III
Mon cher, nous passames des journ��es enti��res �� essayer de pates fantastiques et de colles brevet��es sans garantie du gouvernement, pour arriver �� raccommoder le Bouddha coup�� en deux. Toutes les pates furent inutiles. Et, d'ailleurs, essorill�� d'un c?t�� et le nez ��cras�� au milieu de la face, Bouddha, dont le rev��tement d'or s'��caillait comme une peau malade, Bouddha l��preux, Bouddha devenu horrible, ne pouvait plus figurer jamais, _never, never more_, sur la chemin��e de la jolie fille. Quant �� en acheter un autre, �� donner sur-le-champ un successeur au Bouddha de la rue des Martyrs, non, non, non.... Antonia se vantait d'��tre fid��le �� ce qu'elle aimait.
--Fid��le?
Et je souriais, l'exasp��rant par mon doute.
--Oui, fid��le! Oui, fid��le! La preuve, c'est que si tu m'apportais un nouveau Bouddha, oui, tu entends, un nouveau, je le jetterais par la fen��tre!
Et sur le nez ��pat�� du Bouddha d��capit�� elle posait ses bonnes l��vres fra?ches et baisait l'idole avec une passion ��perdue. Les femmes n'adorent peut-��tre, mon pauvre ami, que ce qu'elles ont cass��.
Du reste, le repentir et l'adoration ne dur��rent pas longtemps. A bien consid��rer son salon japonais, Antonia s'aper?ut peu �� peu qu'il fallait d��cid��ment un ornement sur la chemin��e. Le salon manquait, disait-elle, de ?point milieu?. Elle avait d?, assez belle pour avoir fait un mod��le, accrocher cette expression chez quelque peintre.
Pendant ce temps, les affaires s'embrouillaient vers l'Extr��me Orient, et je commen?ais �� me lasser un peu de tenir la plume au minist��re et de ne pas faire, au grand air, quelque exercice de sabre. La fringale me prit d'aller quelque part, au Tonkin, ��couter, apr��s les fredons de Bouddha, le petit pchttement des balles. Un soir, en arrivant chez Antonia, je lui dis, en essayant d'��tre gai, et il m'en co?tait de me s��parer de la jolie fille:
--Ma petite Antonia, j'ai une nouvelle �� t'annoncer! Si tu veux un point milieu, tu n'as qu'�� le dire. Je m'en vais au pays o�� ils poussent tout seuls, comme des champignons.
--Tu dis?
--Je pars pour le Tonkin. Embarquement �� Toulon. Si tu as envie de voir la M��diterran��e...
Ah! bonne fille! Elle avait eu deux grosses larmes pour Bouddha d��coll�� comme saint Jean-Baptiste. Elle en eut bien quatre pour moi, et aussi grosses, certainement.
--Edmond!... Comment? tu pars, Edmond? Tu me quittes? Tu ne m'aimes donc pas?
Je te passe la sc��ne des larmes. Celle-l�� fut flatteuse pour mon amour-propre, et il fallait tout mon app��tit de nouveaut�� et tout mon amour de la bataille et des Bouddhas authentiques pour laisser l�� le boulevard, les Nouveaut��s, Antonia et la petite chambre japonaise de l'avenue Kl��ber... Mais si je te disais--chose curieuse--que cette grande et belle fille ��tait si enfant, si enfant, que l'id��e que je lui rapporterais de l��-bas un Bouddha nouveau, un Bouddha tout neuf, la consolait un peu de me voir partir. ?a l'amusait, la pens��e de me voir revenir tout bronz�� en tenant entre mes bras, comme le commissionnaire auvergnat, un Bouddha dor��!...
Elle avait
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