Biribi | Page 8

Georges Darien
que leurs p��res ne sont pas n��s avant eux, �� piquer une t��te dans l'arm��e.
Je ne leur en veux plus, mais je persiste �� trouver le temps tr��s long.
Comment les ai-je pass��s ces six mois qui forment la dixi��me partie du temps que je me suis engag�� �� consacrer, avec fid��lit�� et honneur, au service de mon pays? Je serais bien embarrass�� de le dire au juste. Je les ai pass��s, voil�� tout.
J'ai appris �� monter �� cheval, �� faire l'exercice du sabre, du revolver et du mousqueton. J'ai d��sappris la mani��re de marcher d'une fa?on convenable, porter les mains autrement que Dumanet et d'avoir l'air d'autre chose que d'un individu ficel�� dans un uniforme termin�� en bas par des bottes de porteur d'eau et en haut par un shako qui ressemble �� un pot �� cirage. Je sais r��citer la th��orie, mais je ne sais plus raisonner. J'ai appris �� panser les chevaux, �� les ��triller et �� leur laver la queue �� grande eau. J'ai perdu l'habitude de me d��barbouiller tous les jours et de me laver les pieds de temps en temps. Je ne porte plus de faux-cols, mais une belle cravate bleue dans laquelle il faut cracher tr��s longtemps pour la contraindre �� conserver les huit plis r��glementaires. Je porte des bottes �� ��perons, mais je ne porte pas de chaussettes. Je sais que je dois le respect �� mes sup��rieurs, mais je ne sais plus que je dois me respecter moi-m��me. Pour sortir en ville, je mets un dolman, et ?a me fait plaisir, parce qu'il descend un peu plus bas que ma veste et qu'on ne peut pas voir quand je me baisse ou quand je m'assieds, combien ma chemise est sale; je mets aussi des gants blancs et ?a m'ennuie, parce que je suis oblig�� de les retirer pour me moucher--avec le mouchoir du p��re Adam.
Je m'astique, r��guli��rement quatre heures par jour, les fesses sur une selle. Je manoeuvre d'une fa?on passable. Quand je suis de garde et de faction, j'ai l'air tout aussi b��te qu'un factionnaire quelconque. Je tiens ma place assez convenablement aux revues, m��me aux revues �� cheval. Ces jours-l��, je l'avoue, je me pique d'honneur. Je ne voudrais pas ternir l'��clat de ces c��r��monies guerri��res dans lesquelles on voit d��filer un mat��riel tout battant neuf, des chevaux aux crini��res bien peign��es et aux sabots noircis, portant des harnachements astiqu��s au sang de boeuf--du sang qu'on va chercher dans des seaux, �� l'abattoir,--des hommes fourbis, dor��s, brillants sur toutes les coutures et dont pas un, sur cent, n'a du linge propre.
Ce ne sont pas les travaux engageants, les occupations int��ressantes, les spectacles attrayants qui manquent ici, au contraire. Eh bien! malgr�� tout, je m'ennuie.
Je m'ennuie en me levant, �� quatre heures du matin, pour la corv��e d'��curie. Je m'ennuie au pansage, je m'ennuie �� la manoeuvre. Je m'ennuie en montant la garde; je m'ennuie quand je sors en ville, la main gant��e, tenant le sabre, �� l'ordonnance, les yeux tourn��s �� droite et �� gauche pour chercher un sup��rieur �� saluer. Je m'ennuie en p��n��trant dans la cuisine, en me frottant aux cuisiniers raides de graisse, v��tus de pantalons immondes, de bourgerons infects. Je m'ennuie de ne jamais trouver dans ma gamelle que de la viande qui est de la carne, du bouillon, qui est de l'eau chaude, et des l��gumes qu'on a cueillis sur les tas d'ordures d'un march�� au lieu de les r��colter dans les champs. Je m'ennuie encore en la posant, cette gamelle, pour ne pas salir ma couverture, sur mon ��poussette, un magnifique carr�� de drap jaune--qui empeste la sueur de cheval.
Et je m'ennuie surtout le soir, lorsque, ��tendu dans mon lit o�� les puces et les punaises ne me laissent pas fermer l'oeil, je pense �� la fatigante tristesse de la journ��e qui vient de finir.
Je m'emb��te furieusement, mais je fais les plus grands efforts pour ne pas le laisser voir. J'esp��re que ?a finira par se passer. Je prends mon courage �� deux mains et tache de faire preuve de bonne volont��. J'y mets du mien, tant que je peux.
Je n'en mets pas assez, cependant. Il y a diff��rentes choses... la th��orie, notamment... Je la r��cite �� peu pr��s, pas trop mal--pas trop bien non plus--mais toujours d'un ton gnan-gnan, indiff��rent, sans conviction. ?a para?t me laisser froid, ne rien me dire. Je n'ai pas l'air de me figurer que l'avenir de la France est l��-dedans.
--Aucune de ces phrases: ?Au commandement, Haut pistolet!--La baguette en avant--Les r��nes pass��es sur l'encolure? ne font bondir votre coeur dans votre poitrine, m'a dit l'autre jour le capitaine-instructeur.
C'est juste; il est peu rebondissant, mon coeur. Si jamais on me diss��que, je crois que les carabins auront bien du mal �� jouer �� la raquette avec.
Il y a encore
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