Biribi | Page 9

Georges Darien
une autre chose qui ach��ve de me mettre mal dans les papiers de mes chefs. J'astique d'une fa?on d��plorable; et, malheureusement, on est assez port��, dans l'arm��e, �� juger de l'intelligence d'un homme d'apr��s le degr�� de luisant et de poli qu'il est capable de donner �� un bout de fer ou �� un morceau de cuir. ?Faites-vous astiquer!? me r��p��te le capitaine, qui maintenant me fourre dedans, r��guli��rement, �� chaque revue. Je n'ai pas le sou. Je ne peux pas me faire astiquer.
--Alors, vous n'arriverez �� rien.
?a ne m'��tonnerait pas.
--Vous devriez demander �� vous faire rayer du peloton des ��l��ves-brigadiers, me dit le mar'chef, un assez bon gar?on. Vous feriez votre service tranquillement et personne ne vous punirait. R��fl��chissez �� ?a. J'y r��fl��chirai. En attendant, je couche en permanence �� la salle de police.
Un soir, on vient m'y chercher. Il para?t qu'il y a du nouveau. On mobilise une batterie pour l'envoyer en Tunisie. On a dress�� une liste des hommes qui la composent et je suis inscrit un des premiers.
--Quand part-on?
--Dans deux jours. Vous emmenez vos chevaux--sans harnachement, sans rien--et vous allez vous faire armer �� Vincennes.
A Vincennes? Pour aller en Tunisie? Pourquoi pas �� Dunkerque?
Quelle dr?le d'id��e! Enfin, tant mieux! Je reverrai peut-��tre Paris, en passant.

III
J'ai revu Paris.
Beaucoup trop, malheureusement. Au moment o�� nous ��tions pr��ts �� nous embarquer pour le pays des Kroumirs, un contre-ordre est arriv��. On nous a d��mobilis��s et l'on nous a vers��s dans les diff��rentes batteries d'un des r��giments casern��s dans la place. Je suis rest�� presque un an �� Vincennes.
A Nantes, l'impression qu'avait produite sur moi le m��tier militaire ��tait une impression d'ennui mal caract��ris��, de fatigue physique et intellectuelle, de pesanteur c��r��brale. J'avais d'abord ��t�� ��tonnamment secou�� comme on l'est toujours quand on p��n��tre dans un milieu inconnu, et, ��tourdi, ��bloui, je n'avais vu que la surface des choses, je n'avais pu juger que leur ombre. Puis, sous l'influence de l'atmosph��re alourdissante dans laquelle je vivais, me livrais chaque jour au m��me trantran monotone, je m'��tais laiss�� aller peu �� peu �� l'observation animale des r��glements, �� l'accoutumance irr��fl��chie des prescriptions, �� l'acceptation d'une vie toute machinale de b��te de somme qui prend tous les matins le m��me collier pour le m��me travail et dont l'existence mis��rable est r��gl��e d'avance, jour par jour et heure par heure, par la m��chancet�� ou l'idiotie d'un ma?tre impitoyable. Un mois de plus, et ma personnalit�� sombrait dans le gouffre o�� s'en sont englouties tant d'autres. Je ne pensais plus. J'��tais presque une chose. J'��tais sur le point de faire un soldat.
Un soldat--un bon soldat peut-��tre--mais rien de plus. Je n'avais pas perdu assez t?t mon caract��re particulier, ce qui fait que, dans la vie civile, on est soi et non un autre, pour esp��rer arriver jamais �� monter en grade. Je n'avais pas assez vite pris ma part de ce caract��re g��n��ral qui assimile si bien un troupier �� un autre troupier, et qui ne les diff��rencie quelque peu que par le degr�� de respect que la discipline leur inspire et par la somme de terreur qu'elle fait peser sur eux.--On avait eu le temps de s'apercevoir que je n'avais pas la foi. Je ne pouvais plus gu��re me sauver, m��me par les oeuvres. Un ambitieux a tout �� gagner, dans l'arm��e, �� se laisser d��primer le cerveau, d��s les premiers jours, par le coup de pouce des r��glements. D'ailleurs, �� moins de circonstances assez rares, d'��v��nements qui rompent la monotonie d'une existence ab��tissante, vous permettent de remettre la main sur votre personnalit��, il faut toujours en venir l��, t?t ou tard. Mais alors, on ne vous tient pas plus compte de votre soumission, de votre dressage--c'est le mot consacr��--qu'on ne tient compte �� un cheval vicieux de s'��tre laiss�� dompter par la fatigue.
Je ne l'avais pas adopt�� assez vite, cet ��tat d'esprit que les adjudicataires d'habillements militaires fournissent �� trois cent mille hommes, en m��me temps que leurs v��tements en mauvais drap et leurs chaussures en cuir factice. Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire. Un mois de plus, je le r��p��te, j'��tais dress��, et je faisais un soldat.
Mon s��jour �� Vincennes a tout chang��.
Je ne suis pas un soldat.
--Vous n'��tes pas un soldat! Vous ��tes un malheureux!
C'est le colonel, entour�� de tous les officiers du r��giment, qui vient de me dire ?a en passant une revue de chambres.
J'avais cru jusqu'ici que les deux termes: soldat et malheureux, ��taient synonymes. Il para?t que non, car il a ajout��:
--Les soldats, on les honore. Les malheureux comme vous, on les fait passer par des chemins o�� il n'y a pas de pierres.
L��-dessus, tous les officiers m'ont fait de gros yeux terribles. Je m'y attendais: le colonel avait l'air furieux. S'il avait eu l'air gai, ces messieurs auraient fait leur bouche en cul
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