Biribi | Page 3

Georges Darien
situation douloureuse, et lui, le p��re d��sol�� d'avoir ��t�� oblig�� de me laisser faire. Nous semblons deux ��trangers. Et je me tais, aussi, parce que je sens que, si je recommen?ais �� parler, je n'aurais plus dans la bouche les paroles b��tes et endormantes de tout �� l'heure et que je ne pourrais plus trouver que des phrases am��res et des mots m��chants.
Je m'��tais pourtant bien promis de rester calme, depuis le moment o�� j'avais r��solu de m'engager; j'��tais pourtant bien d��cid�� encore, il y a cinq minutes �� peine, �� refouler les col��res sourdes que je sentais gronder en moi. J'avais fait de grands gestes pour ne pas mettre la main dans ma poche o�� je sentais ma feuille de route, j'avais cri�� pour ne pas grincer des dents, j'avais ri parce que les contorsions douloureuses de mon visage et mon rictus de rageur disparaissaient sous la grimace du rire; j'avais imit�� ces conscrits imb��ciles qui chantent pour s'��tourdir et qui ��pinglent �� leur chapeau, chez le mastroquet, en hurlant des chansons patriotiques, le num��ro qu'ils viennent de tirer en tremblant, la larme �� l'oeil, d'une urne plac��e entre deux gendarmes. Et, brusquement, j'ai senti que j'��tais �� bout d'efforts, moi qui n'ai pas bu d'alcool, et que je ne pouvais plus continuer cette com��die qui m'��coeure et qu'on n'a pas prise au s��rieux.
Car mon p��re n'a pas ��t�� ma dupe. Il ne me le dit pas mais je le sens bien. Je le vois, marchant �� six pas de moi, sur la contre-all��e du Cours-la-Reine que nous descendons, la t��te baiss��e, morne, affaiss��e. Il ouvre son parapluie et s'approche de moi.
--Mets-toi �� l'abri; il pleut.
En effet, quelques gouttes d'eau piquent de points bruns la poussi��re grise.
--Oh! bah! ce n'est rien.
--Mais tu n'as pas de parapluie. Ton chapeau va s'ab?mer...
--Qu'est-ce que ?a fait? Je ne le porterai plus demain.
Mon p��re a tourn�� la t��te �� gauche, comme pour regarder quelque chose du c?t�� des Champs-Elys��es, mais pas assez vite pour que je n'aie eu le temps de voir une larme trembler au bord de ses cils.
Cette larme-l�� me remue.
Ah ?a! est-ce que je vais continuer �� garder cet air d'enterrement, cette mine de pleureur aux pompes fun��bres? A quoi ?a me sert-il, au bout du compte, de froncer les sourcils et de me payer une t��te de bourreau de m��lodrame? Ce qui est fait est fait, n'en parlons plus. L'heure des r��criminations est pass��e. Et, bravement, je demande �� mon p��re ce qu'il regarde par l��, �� gauche.
--Moi? Rien, rien...
--Ah! �� propos, figure-toi qu'au bureau de recrutement...
Je lui raconte des histoires quelconques; je lui parle d'un individu qui ne voulait pas ?ter sa chemise pour passer la visite et d'un autre qui avait oubli�� de retirer ses bottes. Je trouve vraiment ces petits incidents tr��s dr?les. J'en ris aux ��clats, je m'en tiens les c?tes. Mon p��re se contente de sourire; un sourire jaune. Il faut pourtant ��tre gai, que diable! Il faut arriver �� lui faire croire que je ne suis pas trop m��content de mon sort, que je pars de bon coeur, que la nouvelle vie que je vais mener ne m'inspire pas la moindre r��pulsion. Je me bats les flancs pour le d��rider; je ridiculise les passants; je me moque d'un marchand de coco qui agite sa cr��celle malgr�� la saison, et d'un monsieur qui, sur une imp��riale d'omnibus, bat la semelle avec rage.
Rien n'y fait. Mes ��clats de rire et mes explosions de ga?t�� ratent comme des fus��es mouill��es dont la baguette retombe piteusement �� terre; et, quand je quitte mon p��re, au bureau des tramways, il me serre les doigts un peu fort dans sa main moite et me dit: ?A demain? avec une voix mouill��e. Je le regarde s'��loigner, vo?t��, appuy�� sur sa canne, triste et las...
--Courcelles! En voiture!
Je grimpe sur l'omnibus. Je vais au parc Monceau, A c?t�� du parc Monceau, tout au moins, o�� habite mon oncle, avec sa femme et sa fille.
Mon oncle, c'est une pompe �� morale. Une pompe �� morale vieux jeu, avec un cylindre apostolique, un piston prud'hommesque, une soupape syst��me Guizot et une soupape syst��me Berquin.
Ma tante, elle, ne moralise pas pour son compte. Mais, lorsque son mari dogmatise, elle approuve. Et ma cousine ratifie.
Que trouvez-vous �� redire �� ?a?--Absolument rien, n'est-ce pas?
Mais moi qui suis en proie �� une irritation croissante, moi dont les nerfs agac��s fr��missent et se contractent, comme les muscles mis �� nu d'un animal sous l'influence d'un courant ��lectrique, �� toutes les paroles de consolation et d'encouragement b��tes qu'on me prodigue depuis deux jours, moi qui sens bouillonner dans mon cerveau une col��re dont je ne m'explique pas la cause mais dont je serais bien aise de me d��charger sur quelqu'un, j'y trouve quelque chose �� redire. Et je suis d��cid��,
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