Biribi | Page 2

Georges Darien
la soci��t��.
L'arm��e! Mais si j'eusse voulu parler d'elle, je n'aurais point ��t�� la chercher l��. J'aurais ��t�� la chercher o�� elle est. Et, dans un roman prochain, _L'��paulette_, je me r��serve le droit de dire ce que j'en pense et de convaincre de mauvaise foi ceux qui m'auront mal jug��.
Ah! je le sais bien, le malheureux que je mets en sc��ne, aigri par la souffrance, aveugl�� par la haine, s'emporte violemment, parfois, contre le syst��me militaire tout entier. Il le charge de tous ses crimes, lui fait porter le poids de toutes ses d��faillances, l'accuse de toutes ses mauvaises passions... Mais c'��tait n��cessaire, cela! C'��tait n��cessaire, cette exag��ration m��me des diatribes, cette outrance maladive de la col��re et des impr��cations! La souffrance r��clame. Seulement, cette d��clamation-l��, souvent, ce n'est pas un cri de r��volte: c'est un baillement.
?La haine est immortelle?, dit mon _h��ros_ dans un des chapitres de ce livre.
Non, elle finit par s'��teindre; elle est tellement lourde �� porter! Si grandes qu'aient ��t�� sa mis��re et ses douleurs, si justes que puissent ��tre ses ressentiments, l'homme, sortant du milieu o�� il a souffert, ne demande qu'�� oublier. Il oubliera, lui aussi. Ou alors, il faudrait qu'il ne trouvat, dans la soci��t�� o�� il est rentr��, que la d��ception qui brise apr��s l'humiliation qui ronge, que le d��sespoir morne apr��s la souffrance rageuse. Mais cela n'est pas possible...
Et il ne restera, de son existence sombre de paria, que ces confessions poignantes qu'il a arrach��es brutalement, telles quelles, de son coeur encore endolori, et que je transcris ici, en ce livre incomplet sans doute, mais qui aura, du moins, le m��rite d'��tre sinc��re.
Paris, janvier 1890.
GEORGES DARIEN.

BIRIBI
DISCIPLINE MILITAIRE

I
--_Alea jacta est!_... Je viens de passer le Rubicon...
Le Rubicon, c'est le ruisseau de la rue Saint-Dominique, en face du bureau de recrutement. Je rejoins mon p��re qui m'attend sur le trottoir.
--Eh bien! ?a y est?
--Oui, p'pa.
Je dis: Oui, p'pa, d'un ton mal assur��, un peu honteux, presque pleurnichard, comme si j'avais encore huit ans, comme si mon p��re me demandait si j'ai termin�� un pensum que je n'ai pas commenc��, si j'ai ressenti les effets d'une purge que je n'ai pas voulu prendre.
Pourtant, je n'ai plus huit ans: j'en ai presque dix-neuf; je ne suis plus un enfant, je suis un homme--et un homme bien conform��. C'est la loi qui l'assure, qui vient de me l'affirmer par l'organe d'un m��decin militaire dont les lunettes bleues ont le privil��ge d'inspecter tous les jours deux ou trois cents corps d'hommes tout nus.
--Marche bien, c't homme-l��!... Bon pour le service!...
Je r��p��te cette phrase �� mon p��re, qui m'��coute en ��carquillant les yeux, la bouche entr'ouverte, l'air stup��fait. Toutes les deux minutes il m'interrompt pour me demander:
--Tu as sign��? Alors ?a y est?... Ils t'ont donn�� ta feuille de route? Alors, ?a y est?...
Et, toutes les deux minutes un quart, je r��ponds:
--Oui, p'pa.
Je ne me borne pas, d'ailleurs, �� cette affirmation--flanqu��e d'une constatation de paternit�� en raccourci. Je parle, je parle, comme si je tenais �� bien faire voir que le m��decin aux lunettes bleues ne m'a pas arrach�� la langue, comme si le coup de toise que j'ai re?u tout �� l'heure sur la t��te avait fait jaillir de ma cervelle des mondes d'id��es. Tristes id��es cependant que celles que j'exprime en gesticulant, au risque de faire envoler des arbres de l'Esplanade des Invalides que nous traversons tous les pierrots gouailleurs qui font la nique aux passants. Consid��rations banales sur l'��tat militaire, espoirs b��tes d'avancement rapide, lieux communs h��ro?quement stupides, expression surchauff��e d'un patriotisme sentimental de caf��-concert; tout cela compliqu�� du rabachage oblig�� d'anecdotes d'une trivialit�� ��coeurante. Mon p��re para?t s'int��resser prodigieusement �� ce que je lui raconte; il incline la t��te en signe d'approbation; il murmure:
--Certainement... ��videmment... rien de plus vrai...
Et, tout d'un coup, me regardant bien en face:
--Alors, d��cid��ment ?a y est?... c'est fini?
Il a l'air de sortir d'un r��ve, de revenir de tr��s loin. Il n'a pas entendu un mot de tout ce que j'ai dit, c'est clair. Mon flux de paroles a seulement berc�� ses pens��es tristes que je devinais et que je voulais chasser, comme elles ont laiss�� froid mon cerveau que j'essayais de griser.
Je me tais subitement, secou�� d'un grand frisson, envahi soudain par une col��re noire, un d��go?t ��norme, qui me porteraient �� me donner des coups de pied �� moi-m��me ou �� me tirer les oreilles, si je n'avais peur de passer pour un ali��n��.
La chose que je viens de faire, je le sais, ��tait une chose forc��e; mais je sens que c'est aussi une chose b��te, triste, et, qui plus est, irr��parable. Et nous marchons c?te �� c?te, sans plus rien dire, traversant sur le pont d��sert des Invalides la Seine jaunatre rid��e par un vent froid, moi, le fils qui ai voulu mettre un terme �� une
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