constitutionnelle.
En publiant des brochures portant pour titre: Des effets de la Terreur,
dans un moment de réaction politique, il est évident qu'on contribue
soi-même à accélérer le mouvement de ces réactions.
Personne, aujourd'hui, excepté les historiographes consciencieux, ne
feuillette ces écrits de circonstance. Ils passeraient aujourd'hui pour des
lieux communs. Le style de tribune (défaut ordinaire des écrivains
orateurs) dans lequel ils sont conçus, n'est point de nature à les sauver
de l'oubli.
Ces divers opuscules ont été publiés en 1829 sous le titre de Mélanges
littéraires et politiques.
Le coup d'État du 18 fructidor permit de juger le caractère politique de
M. Benjamin Constant. Il n'y a pas de meilleure pierre de touche pour
les caractères, dans la vie publique, que les événements de ce genre.
Dans un discours prononcé au club de Salm, il articula des paroles qu'il
contredit plus tard, mais dans lesquelles il donnait alors son
approbation au coup d'État. Cela n'était pas très-conséquent avec le
libéralisme de ses opinions. Rien de plus fréquent d'ailleurs que cette
inconséquence chez les libéraux. La haine de la révolution, si mal
comprise pendant longtemps, les rejetait dans toutes les circonstances
périlleuses du côté du despotisme.
Avant le 18 fructidor, la ligne politique de M. Benjamin Constant, par
cela même qu'elle était douteuse, l'exposait aux récriminations et aux
attaques de tous les partis. Il eut un duel avec un journaliste nommé
Sibuet. Le duel faisait aussi partie de la politique du temps. Il reparaît
de temps en temps en France dans le monde politique et littéraire, où il
semble se concentrer; ce qui prouve uniquement que l'amour-propre est
plus développé dans les classes intellectuelles qu'ailleurs.
La réaction allait grand train. M. Benjamin Constant reprit alors ce rôle
de frondeur qui n'a peut-être pas été sans utilité en France à diverses
époques de notre histoire, mais qu'il n'en faut pas moins considérer
comme un ingrédient politique dangereux aussi peu conforme au génie
de la monarchie qu'à celui d'une démocratie égalitaire et
gouvernementale comme la démocratie française.
Au tribunat, dont il fit partie après le 18 brumaire, M. Benjamin
Constant essaya de faire de l'opposition parlementaire comme s'il eût
été à la chambre des communes ou à l'assemblée constituante. Mais les
temps étaient changés. Par un abus de pouvoir qui faisait pressentir la
grande dictature militaire sous laquelle la France allait tomber,
Bonaparte épura (Mme de Staël disait écréma) le tribunat.
Depuis soixante ans, en France, les événements ont si complétement
dominé les hommes et violé si manifestement le droit apparent et la
justice écrite, que ces événements n'ont souvent été compris ni par ceux
qui les accomplissaient ni par ceux qui les subissaient. De telle sorte,
qu'au point de vue individuel, ils sont restés crime pour celui qui les a
commis, vertu pour qui s'y est opposé. Ce sont les destinées de la
Révolution qui, en vue d'un droit et d'une justice supérieurs, poursuit sa
marche à travers les institutions presqu'aussitôt brisées qu'elles ont été
créées.
La phase militaire de la Révolution ne fut comprise que comme
l'expression de l'ambition et du génie d'un homme superposant sa
volonté à la loi. C'était n'en voir que le côté mesquin et humiliant.
Le salon de Mme de Staël ne vit que ce côté-là. Avec tout l'esprit qui
s'y trouvait, on ne s'y éleva pas jusqu'à cette pensée altière et
républicaine: que les grands hommes sont de fragiles instruments
engendrés par et dans la mesure des situations, pour la déduction
logique des faits antérieurs. Ce sont les anneaux apparents de la chaîne
historique des nations. Mais quoique leur utilité soit incontestable, il
n'est pas moins certains pour quiconque médite l'histoire des sociétés
humaines, que ces hommes ne sont pas individuellement indispensables.
Les idées se développent sous la loi d'une harmonie pareille à celle qui
conduit les astres et les mondes, les peuples marchent sous l'inspiration
de cette loi du développement des idées et les grands hommes qui
dépassent çà et là les multitudes et qui semblent les guider, ne les
guident pas plus que le boeuf qui prend la tête du troupeau ne guide le
troupeau chassé par un être supérieur: le bouvier, c'est-à-dire l'homme.
Mais il est utile pourtant à la marche des affaires humaines, à sa
régularisation, que certains hommes prennent les devants et se
précipitent les premiers dans les voies de la Providence.
Dans le salon de Mme de Staël, devenu l'asile des tribuns éliminés, on
fit de l'esprit sur le grand homme; on croisa vaillamment la parole
contre le sabre, ce qui était plus courageux que prudent et qu'intelligent,
peut-être. Il y a des instants ou la parole est à la hache et au glaive.
L'esprit doit alors laisser passer, avec cette pensée que le sang humain
ne coule pas en vain et qu'il a son éloquence plus retentissante que les
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