Benjamin Constant | Page 7

Hippolyte Castille
Voir notre portrait de Mme de Staël.]
Il est assez curieux d'y observer l'attitude de M. Benjamin Constant,
saisie au vif dans une lettre écrite par un émigré à Mme de Charrière.
Arrivé à Paris en 1795, M. Benjamin Constant s'était logé rue du
Colombier. «J'ai cru voir dans ce choix un souvenir sentimental,» dit le
correspondant de Mme de Charrière.
M. Benjamin Constant venait de faire ses débuts politiques par la
publication de sa première brochure.
On devine ce que peut être sous le directoire l'homme, qui, le 14
octobre 1794, écrivait à Mme de Charrière: «Je suis devenu tout à fait
Tallieniste.» Si Tallien pouvait représenter quelque chose, c'était la
crapule et rien de plus. Il l'a bien prouvé à table et ailleurs. Dans une ou
deux conversations que je me souviens d'avoir eu dans ma jeunesse
avec le vieil Ouvrard, j'en ai plus appris sur le ménage Tallien qu'il n'en
faut pour fixer mes doutes, s'il m'en pouvait rester, sur la moralité des
Thermidoriens.
Le correspondant de Mme de Charrière nous dépeint M. Benjamin
Constant, sous la figure de ce qu'on nommait alors un muscadin. Pour
les airs et le costume, se rappeler les gravures du temps. Comme à
Lausanne il est fort silencieux. «On ne le prend pourtant pas pour un
sot.» Il est lié avec l'auteur des Mémoires d'un détenu, Riouffe, un des
hableurs qui se vantaient d'avoir rétabli l'ordre social, parce qu'ils
avaient ramené la France aux mauvaises moeurs du règne de Louis XV.
Ses autres amis sont Chénier, Daunou et le petit Louvet; Adolphe et
Faublas.

Au salon de Mme de Staël, Talleyrand, de retour en France, occupait le
premier rang et tendait les fils de ses intrigues.
C'est dans ce monde du Directoire que brille M. Benjamin Constant.
Parisien d'esprit et de droit, car il s'est fait naturaliser Français en vertu
de la loi du 15 décembre 1790, qui accordait les droits civiques aux
protestants issus de famille expulsées jadis pour cause de religion.
Ce grand monde parisien, et surtout le salon de l'ambassadrice, le
correspondant de Mme de Charrière a le courage de le lui écrire: «lui
vaut mieux que le petit cabinet de Colombier.»
Il s'en excuse et ajoute: «Vous ne serez pas fâchée contre moi, n'est-ce
pas? Si vous n'étiez pas si sauvage, que vous voulussiez rassembler
dans votre cabinet vingt-cinq personnes, que l'un fût girondin, l'autre
thermidorien, l'autre platement aristocrate, l'autre constitutionnel, un
autre jacobin, dix autres rien, alors j'aimerais à voir Constant écouté de
tous à Colombier et goûté par tous. Le salon d'ici lui va mieux. S'il n'y
passait que deux heures par jour, il serait pour lui la meilleure étude.
Mais, hélas! il y passe dix-huit heures, il ne vit plus que dans ce salon,
et le salon le fatigue, il n'en peut plus. Sa santé se délabre, son physique
si grêle souffre déjà...» Adolphe se voûte, pense à la retraite et soupire
après les heures paisibles des petites principautés allemandes. Il
s'endort à déjeuner en mangeant des cerises avec Riouffe.
La première brochure avait pour titre: De la Force du Gouvernement
actuel et de la nécessité de s'y rallier. Le Moniteur l'imprima avec un
éloge mêlé pourtant de quelque réserve. M. Benjamin Constant était
trop assidu auprès de Mme de Staël, pour qu'on ne le soupçonnât pas
d'appartenir à la faction qui s'opposait à la réélection des deux tiers de
la convention.
M. Loëve-Weimar, dont il faut ici suivre les indications, publiées dans
un article de la Revue des Deux-Mondes du 1er février 1844, prétend
que M. Benjamin Constant écrivit trois articles contre ces décrets. M.
de Loménie met ces articles en doute et déclare n'avoir pu les retrouver
s'ils existent.

La situation politique de M. Benjamin Constant nous paraît mieux
expliquée dans l'article d'un de ses amis et contemporains, M. Pagès (de
l'Ariége)[2].
[Note 2: Voir le Dictionnaire de la Conversation.]
La faiblesse du Directoire donnait naissance à des situations mal
définies: «Le club de Clichy luttait contre la révolution tout entière. Le
club constitutionnel de Salm luttait à la fois contre les hommes de la
terreur et contre ceux du royalisme. Les haines s'envenimèrent.» Les
Jacobins avaient le club du Manége.
À ces nuances, il faut ajouter celle des adversaires de la réélection des
deux tiers de la convention citée plus haut. Cette nuance créait un
schisme dans le club de Salm, dont M. Benjamin Constant fut le
secrétaire. Mais les nuances de ce genre qui ne peuvent servir que
d'appoint aux réactions, sont promptement emportées par le courant
contre-révolutionnaire.
Le club constitutionnel de l'hôtel de Salm, essayait de réaliser au profit
de la République la politique du juste-milieu. Dans le fond, par leurs
moeurs, par la tournure de leur esprit, les républicains de l'hôtel de
Salm inclinaient purement et simplement vers la monarchie
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