chuchotteries d'un cercle élégant réuni autour d'une cheminée de
boudoir.
Les hommes comme Napoléon qui vont si furieusement à la destinée,
s'impatientent du moindre obstacle. Le salon de Mme de Staël fut
dispersé comme un petit amas de feuilles sèches sous le vent d'ouest.
M. Benjamin Constant, qui venait de publier sa brochure intitulée les
Suites de la contre-révolution de 1660 en Angleterre, s'aperçut, mais
trop tard, que le modérantisme tout aussi bien que l'anarchie conduit au
despotisme. Cet inconséquent alla en compagnie de la femme avec
laquelle il avait contracté une liaison si orageuse, transporter son joli
bagage d'humour et d'esprit de salon, dans une petite cour littéraire de
l'Allemagne, la cour de Goëthe et de Schiller, je veux dire celle de
Weimar.
La bonne Allemagne, pays des rêves, des légendes, des longs loisirs,
était un asile tout à fait convenable à ces gens qui firent tant de dépense
d'écritures et de paroles.
Là, M. Benjamin Constant traduisit Wallenstein en vers détestables.
Mais où tourner ce surcroît d'inquiétudes et de besoin d'activité que la
politique absorbe si bien? Il fallut hélas! le décharger sur les choses de
la vie intime.
Ne pouvant plus faire d'opposition au gouvernement, il en faisait à sa
maîtresse. Et quelle opposition! M. Benjamin Constant, si malheureux
une première fois en ménage, s'était imaginé de songer à une union
nouvelle.
Il voulut épouser Mme de Staël malgré elle. Épouser Corinne, quelle
fantaisie! quelle audace! quelle imprudence! combien un tel projet est
loin du sens commun!
Après les douleurs qui sont la fin ordinaire de ces unions illégitimes, M.
Benjamin Constant chercha des consolations dans un second mariage.
Il épousa en 1808 Mme de Hardenberg avec laquelle il a vécu à
Goettingue en bonne intelligence, quoique les derniers orages de sa
rupture avec Mme de Staël ne fussent pas encore terminés.
Pendant ce temps de repos et de convalescence du coeur, M. Benjamin
Constant travailla à son grand ouvrage sur la religion. Ce livre, qui
l'occupa toute sa vie et que la postérité lira peu, lui fut du moins fort
utile de son vivant. Cela lui faisait une occupation quand il était
souffrant, lorsqu'il avait éprouvé des revers en amour ou au jeu. M.
Benjamin Constant, l'esprit tout plein du sentiment de la vanité des
passions, rentrait alors chez lui et disait: «Travaillons à mon livre sur
les religions.»
Cet ouvrage se ressentait lui-même des passions de l'auteur. Versatile,
sec et bien inférieur à ce que le génie littéraire moderne a créé en ce
genre sous la plume éloquente des Lamennais, des Châteaubriant ou
sous la logique des Maistre et des Bonald. C'est un livre du passé, un
livre de l'ancien régime mal accommodé au régime nouveau. Ce livre
commencé le front haut, avec toute l'impudence philosophique
imaginable, a l'air, en finissant, d'un vieux libertin qui cherche à se
convertir.
À côté de ces graves travaux, se succèdent vers la même époque de la
vie de M. Benjamin Constant plusieurs oeuvres littéraires; notamment
le roman d'Adolphe.
Ce petit roman, remarquable par l'analyse des sentiments, n'est
cependant pas, selon nous, digne du succès considérable qu'il a obtenu.
Le style en est clair, mais décoloré. L'impression générale qui résulte
du livre n'est pas de nature à élever l'esprit ou le coeur. Un sentiment
d'aride tristesse est à peu près tout ce qui reste au lecteur à la dernière
page de ce livre. Son mérite le plus positif est purement moral. L'auteur
déduit avec une expérience visible le danger des unions illégitimes,
particulièrement entre personnes d'âge disproportionné.
Dans la préface de la troisième édition d'Adolphe, M. Benjamin
Constant parle avec un dédain plus apparent que réel de ce livre dont il
n'a pas révélé le secret. «Sans la presque certitude qu'on voulait en faire
une contrefaçon en Belgique, dit-il, et que cette contrefaçon, comme la
plupart de celles que répandent en Allemagne et qu'introduisent en
France les contrefacteurs belges, serait grossie d'additions et
d'interpolations auxquelles je n'aurais point eu de part, je ne me serais
jamais occupé de cette anecdote, écrite dans l'unique pensée de
convaincre deux ou trois amis, réunis à la campagne, de la possibilité
de donner une sorte d'intérêt à un roman dont les personnages se
réduiraient à deux, et dont la situation serait toujours la même.»
Si tel était l'unique but de l'auteur, il faut avouer que ce but ne valait
pas la peine d'écrire.
D'autres personnes prétendent qu'Adolphe est une manière de
confession dans laquelle M. Benjamin Constant a versé le secret de ses
douleurs et de ses fautes à propos de sa rupture avec Mme de Staël.
Ici s'établit une petite controverse entre les biographes et les
commentateurs de M. Benjamin Constant. Les uns prétendent que le
personnage d'Ellenore n'est autre que Mme de Staël. D'autres font
observer avec quelque raison que dans cette liaison ce
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.