Bas les coeurs! | Page 8

Georges Darien
a prévenu mon père qui m'a
formellement défendu de continuer à me compromettre. Un Barbier ramasser du crottin!
Est-ce que j'aurais l'intention de devenir républicain, par hasard? Ma soeur en rougissait
jusqu'aux oreilles.
Le lendemain soir, comme je voyais le père Merlin rôder autour de sa brouette et que je
cherchais un prétexte pour ne pas l'accompagner, il m'a dit lui-même de ne pas venir avec
lui.
--Car on te l'a défendu, n'est-ce pas?
--Oui, monsieur.
Il a haussé les épaules. C'est son habitude. Que je lui parle de mes parents, des voisins, de
ce qui se passe dans le quartier ou dans la ville, il hausse les épaules. C'est surtout lorsque
je lui demande un bouquet de la part de ma soeur qu'il a un petit mouvement d'épaules
accompagné d'un mince sourire railleur--toujours le même--qui en dit long. Il ne doit
guère se tromper sur le compte de Louise. Il ne m'en a jamais parlé mal, c'est vrai--il ne

cancane pas--mais on voit qu'il est fixé à son sujet. Au sujet de bien d'autres aussi, sans
doute. Il doit savoir juger les hommes, le père Merlin, avec ses yeux clairs, et c'est
peut-être pour cela qu'il les méprise un peu--et qu'il n'en dit rien.
Son haussement d'épaules ne signifie pas: «Ce que vous me dites ne m'intéresse pas. Ça
me laisse froid.» Il veut dire: «Je le savais avant vous; seulement je veux faire comme si
je ne le savais pas.»
Il y a une chose qu'il ne sait pas, pourtant. C'est que j'ai beaucoup de sympathie pour lui.
Il ne le sait pas, car il serait plus ouvert, il aurait plus de confiance en moi s'il s'en doutait
et nous pourrions causer sérieusement--comme deux hommes.--Il faudra que je lui
apprenne ça, et--le plus tôt possible.
Tiens! le voilà qui sort de la maison et qui descend au jardin. Il est plus pâle que
d'habitude; il a toujours son bandeau blanc autour de la tête. Je vais lui demander des
nouvelles de sa santé et tâcher de le faire causer. Il peut se fier à moi et me raconter tout
ce qu'il voudra. Je ne dirai rien, à la maison.
--Vous allez souvent à Paris, maintenant, monsieur Merlin?
--Mais oui.
--Papa m'a dit qu'il y a quelque temps, vous y avez été pour l'enterrement de Victor Noir.
--Ah!
--Est-ce que c'était un bel enterrement?
--Un enterrement comme tous les autres: beaucoup moins de morts que de vivants.
--Ah!... Et la dernière fois, vous y êtes resté trois jours?
Pas de réponse.
--Est-ce que c'est à Paris que vous vous êtes fait mal à la tête?
Le père Merlin m'a pris aux épaules, m'a fait tourner comme un toton et m'a mis bien en
face de lui.
--Écoute, petit. Je n'aime pas les espions. Si tu as envie de faire ce sale métier, il ne faut
pas venir chez moi. Il faut aller ailleurs. Ou plutôt, il vaut mieux rester chez ceux qui
t'envoient. Tu as compris? Je ne te répéterai pas ça deux fois.
Et il est allé s'asseoir sous le berceau, devant une table où sont déposés ses journaux.
***
Ah! c'est comme ça?... Ah! tu doutes de moi?... Ah! tu n'as pas confiance en moi?... Tu
me traites d'espion?... Eh bien! tu peux parler mon bonhomme! Tu peux parler, et tu

verras si l'on te reçoit encore chez nous... tu peux parler!
Je dirai tout!
Mais le vieux est en train de lire un journal et n'a pas l'air de vouloir desserrer les dents...
Si, il vient de déposer son journal pour bourrer sa pipe et il a murmuré:
--Nous allons voir combien de temps ces cochons-là vont encore nous épousseter avec
leurs panaches.
J'ai entendu. C'est tout ce qu'il me faut.
--Monsieur Merlin, je m'en vais.
--Si tu veux.
--Ah! te voilà, s'écrie Louise qui vient m'ouvrir. Ce n'est pas malheureux, j'ai cru que tu y
coucherais. Eh bien?
Je lâche la phrase que je viens d'entendre. Je n'ai pas eu le temps d'en oublier une syllabe.
--Eh bien! il a dit: «Nous allons voir combien de temps ces cochons-là vont encore nous
épousseter avec leurs panaches.»
--Tonnerre de Brest! s'écrie M. Pion... Pardon, mesdames... Quel est le salaud qui a dit
ça?
--C'est M. Merlin, dit ma soeur en étendant les bras.
--Misérable! Gredin!
--Il a tort, grand tort, affirme tranquillement M. Beaudrain. Il ne faut pas médire du
panache, eh! eh!; il a du bon, eh! eh! eh! La France a grandi à l'ombre de deux panaches:
celui du Béarnais et celui de Napoléon.
--Oser dire des choses pareilles! s'écrie ma soeur.
--Et le jour même où l'on parle d'illuminer la ville pour fêter le départ de nos braves
troupiers, gémit Mme Arnal.
Je tends l'oreille. Comment? On parle d'illuminations?
Oui. Et ces messieurs sont justement
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