la cravache et voulut prendre la
tigresse par la douceur; il lui fit les appels les plus touchants et protesta que jamais il ne
lui infligerait l'odieux châtiment dont elle avait été menacée un instant.
Elle s'approcha, se laissa caresser, écouta en silence les discours de Corcoran, alla baiser
la main de Sita et parut avoir tout oublié; mais il vit bien que quelque chose s'était rompu
entre eux, et que la première fleur de leur amitié réciproque était flétrie et desséchée. Il
résolut donc de la surveiller plus que jamais et de ne plus la laisser sortir sans lui.
Vers cinq heures du soir, au moment où Louison se préparait à recommencer sa
promenade, Corcoran l'enferma dans la grande salle du palais d'Holkar, située au premier
étage et qui dominait le parc d'une hauteur de trente pieds. Pour plus de sûreté, il mit le
gros éléphant Scindiah en embuscade sous les fenêtres. La jalousie qui animait Scindiah
contre Louison (tous deux se disputaient les bonnes grâces de Sita) répondait à Corcoran
de sa fidélité.
Rien ne saurait peindre l'indignation de Louison, quand elle se vit enfermée et traitée en
prisonnière de guerre. Elle rugissait si terriblement, que le palais en trembla sur sa base,
et que les habitants de Bhagavapour se cachèrent dans leurs caves.
Corcoran l'entendit et en eut pitié. Sita même implora la grâce de Louison, et ses
principaux serviteurs, qui craignaient d'être mis en pièces par la redoutable tigresse, se
jetèrent aux pieds du maître pour demander sa liberté.
«Maharajah, dit Ali, seigneur du Bundelkund et de Goualier, cousin germain du soleil et
de la lune, neveu des étoiles, favori du tout-puissant Indra qui éclaire les mondes, daigne
ordonner que Louison soit relâchée, ou nous sommes perdus.»
Mais Corcoran était de ces hommes qui ne reviennent jamais sur leurs résolutions. Sa tête
avait la solidité du fer, et sa volonté l'inflexibilité du granit. Il refusa donc absolument de
rendre la liberté à Louison.
[Illustration: Elle rugissait si terriblement que le palais en trembla. (Page 34.)]
Celle-ci, cependant, ne perdait pas courage. Voyant que personne ne viendrait la délivrer,
elle bondit tout à coup d'un élan furieux, enfonça l'une des fenêtres de la salle et, toute
sanglante, allait prendre la fuite.
Mais un grave accident la retint. Trop pressée de sauter par la fenêtre pour mesurer son
élan, elle était tombée, non pas sur le gazon, mais sur le dos de l'éléphant Scindiah, qui
était justement chargé d'empêcher toute escapade. Il ne pouvait rien arriver de plus
malheureux à la pauvre Louison.
Outre que Scindiah ne l'aimait pas, elle tomba si malencontreusement, elle si adroite en
toutes choses, qu'elle se sentit glisser du dos de l'éléphant jusqu'à terre, et par instinct, de
peur de se casser le nez, enfonça ses griffes acérées dans les épaules de Scindiah. Par ce
moyen elle se retint en équilibre, et un autre saut l'aurait mise à terre; mais Scindiah la
guettait.
Au moment où elle allait s'élancer, l'éléphant la saisit délicatement par le cou avec sa
trompe, l'enleva comme une plume, la balança trois fois dans les airs, comme un habile
frondeur brandit sa fronde, et la rejeta dans la grande salle du palais.
Corcoran, qui observait cette scène en silence, ne put s'empêcher de rire du tour et de
l'adresse de Scindiah. Mais ce rire redoubla la rage de Louison. A peine retombée sur ses
pattes, elle reprit son élan, essayant cette fois d'éviter la dangereuse trompe de Scindiah.
Inutile effort! Scindiah l'attrapa au passage, comme une hirondelle attrape les mouches au
vol, la posa délicatement à terre sans la lâcher ni lui faire aucun mal, la souleva lentement
pour la regarder, comme s'il avait eu son lorgnon, et tout d'un coup, quoiqu'elle se débattit
avec une fureur indescriptible, la rejeta de nouveau dans la grande salle du palais.
Le jeu devenait dangereux et commençait à passer la plaisanterie. Corcoran le sentit, et il
allait intervenir pour empêcher un combat où Louison, malgré tout son esprit et son
courage, n'avait pas le beau rôle, lorsque l'affaire changea subitement de face par l'arrivée
d'un nouveau combattant.
Le grand tigre de la veille était arrivé au rendez-vous une demi-heure plus tôt qu'à
l'ordinaire. Il entendit tout à coup les rugissements de Louison et les grondements
moqueurs de Scindiah. Inquiet, il s'élança d'un bond sur le mur du parc, vit de loin ce qui
se passait, et s'avança en rampant vers le gros éléphant, qui, tout occupé de son jeu, ne
s'attendait pas à livrer un nouveau combat.
Mal lui en prit, car Louison, qui de la fenêtre guettait l'arrivée du tigre, ne l'eut pas plus
tôt aperçu qu'elle se prépara de nouveau à le rejoindre.
Elle lui donna du regard le signal de l'attaque et tandis que Scindiah, suivant sa tactique
ordinaire, avançait
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