Aventures merveilleuses mais authentiques du capitaine Corcoran | Page 8

Alfred Assollant
sa trompe pour l'attraper au passage, il sentit tout à coup une douleur
aiguë. Le tigre, profitant de ce que Scindiah avait le dos tourné, s'était élancé sur lui sans
être vu, et il lui déchirait la queue avec ses griffes. Scindiah se retourna et voulut saisir
son ennemi avec sa trompe; mais Louison, plus prompte que la pensée, profitant de
l'occasion, sauta légèrement sur son dos, de là à terre et prit la fuite. Le grand tigre,
content d'avoir fait diversion, et délivré sa soeur, ne se soucia plus de la queue de
l'éléphant et, ne pensant plus qu'à éviter sa trompe, s'empressa d'imiter l'exemple de
Louison.
Déjà tous deux avaient gagné le mur du parc et allaient sauter de l'autre côté, quand

Scindiah, honteux d'avoir été trompé, et trop lourd pour rattraper les fugitifs, saisit avec
sa trompe une grosse pierre et la lança sur le tigre avec une telle roideur, que s'il l'avait
atteint dans le flanc il l'aurait écrasé comme un raisin. Heureusement, il manqua son coup.
La pierre ne toucha qu'à peine le tigre à la naissance de la queue, et le culbuta dans le
fossé sans lui faire d'autre mal. Quant à Louison, dès qu'elle eut vu Scindiah ramasser la
pierre, elle devina son dessein et bondit de l'autre côté du mur avec une agilité
extraordinaire. Là, se voyant en sûreté, elle releva, plaignit et consola son compagnon,
qui léchait tristement sa blessure, et partit avec lui, bien résolue à ne plus revoir jamais, ni
le palais, ni Corcoran, ni même la belle Sita, qui la comblait tous les jours de caresses et
de sucreries.
Mais qu'on se rassure. Ce n'est pas ainsi que devait finir l'amitié de Louison et de
Corcoran. Le destin devait les rapprocher bientôt dans les plus graves circonstances.
Ce même destin combla quelques mois plus tard les voeux de Corcoran et de Sita. Dieu
leur donna un fils aussi beau que sa mère et qui fut appelé Rama, du nom de l'illustre chef
de la dynastie des Raghouides, dont Sita était la dernière descendante. La joie des
Mahrattes fut au comble; ils voyaient renaître en lui cette race glorieuse. Pendant trois
jours toute la nation célébra par des banquets splendides cet heureux événement.
Corcoran, toujours économe pour lui-même, mais généreux pour son peuple, fit seul les
frais de ces fêtes et de ces réjouissances publiques. Pour la première fois depuis que le
monde est monde, on vit un prince qui donnait de l'argent à ses sujets au lieu de leur en
demander. Ce fait même est si merveilleux, qu'il pourrait faire mettre en doute
l'authenticité de l'histoire du capitaine Corcoran et la véracité de l'historien, si quinze
millions de Mahrattes, témoins oculaires, ne vivaient pour attester la générosité du
maharajah, et si l'on ne trouvait la description du banquet dans une correspondance du
Bombay Times du 21 octobre 1858. Le correspondant termine son récit par les réflexions
qui suivent, et qui montrent bien toute l'inquiétude que des maximes de gouvernement si
nouvelles causaient aux journaux anglais de l'Inde.
«On ne peut nier que le maharajah actuel, malgré son origine étrangère, ne soit devenu
très-populaire parmi les Mahrattes. Il a diminué l'impôt des cinq dixièmes; il a supprimé
les levées d'hommes que faisaient ses prédécesseurs; son armée, qui est peu nombreuse et
composée seulement de volontaires, manoeuvre avec un ensemble et une précision
admirables; il a fait venir de France et payé comptant cent mille carabines rayées,
pourvues de sabres-baïonnettes et semblables à celles des tirailleurs de Vincennes; son
artillerie, sans être excellente, est très-légère et très-supérieure à celle que nous pouvons
lui opposer dans l'Inde, où, par la négligence, l'incurie et l'incapacité de lord Braddock et
de ses prédécesseurs, toutes nos institutions militaires ont misérablement dépéri; il n'est
pas seulement un général habile, ainsi que le colonel Barclay l'a éprouvé à ses dépens, il
est le premier soldat de son armée. Ses sujets ont pour lui une sorte d'admiration
superstitieuse. Les Indous croient, et il laisse dire, que son corps est impénétrable aux
balles et aux poignards. Aussi personne ne serait assez hardi pour se mesurer avec lui, si
l'on pouvait avoir envie de conspirer contre sa vie. Sa cravache seule ferait trembler les
assassins. Du reste, il est affable, bienveillant, doux avec tout le monde et surtout avec les
faibles et les opprimés.

«Quiconque veut pénétrer dans son palais peut le faire à toute heure, sans que les
serviteurs repoussent ou interrogent le nouveau venu. Une seule partie du palais est
réservée, et c'est celle qu'aucun gentleman ne voudrait montrer,--je veux dire les
appartements de la reine; mais Sita se montre elle-même tous les jours au public, et le
peuple peut la voir et lui parler. Je dois même dire que sa beauté merveilleuse et sa bonté,
dont on raconte
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