Aventures merveilleuses mais authentiques du capitaine Corcoran | Page 5

Alfred Assollant
garde. D'abord, il faut desceller les barreaux de fer. De plus, il y a trente pieds depuis la fenêtre jusqu'au pavé de la rue. Vous aller vous casser le cou. Quant à votre vilain animal....
--Chut! répondit Corcoran. Ne dites pas de mal de Louison. Elle est très-susceptible. Elle se facherait.... Quant aux barreaux, c'est peu de chose.?
Et, en effet, il en arracha trois presque sans effort apparent.
?Maintenant, ajouta-t-il, on peut passer.?
A vrai dire, l'Académie était partagée entre la crainte de le voir se casser le cou et le plaisir de dire adieu à Louison.
Corcoran s'assit sur la fenêtre et se disposa à descendre dans la rue en s'aidant des sculptures et des saillies de la muraille. Mais, tout à coup, le président le rappela.
?Eh! dit-il, capitaine, est-ce que vous allez nous laisser seuls avec Louison?
--Ma foi! répliqua Corcoran, il faut bien que quelqu'un passe le premier, et jamais Louison ne sautera si je ne lui donne pas l'exemple.
--Oui, reprit le président; mais si, quand vous serez descendu, Louison refuse de sauter?
--Ah! si le ciel tombait, répliqua Corcoran, bien des allouettes seraient prises. Une dernière fois, faut-il descendre, oui ou non?
--Faites descendre Louison d'abord, dit le président.
--C'est juste! reprit Corcoran. Mais si je prends Louison par la peau du cou et si je la jette par la fenêtre, Louison, qui est fantasque, ne m'attendra pas, et se mettra à courir dans les rues, et dévorera peut-être dix ou douze personnes avant que j'aie pu venir à leur secours. Vous ne connaissez pas l'appétit de Louison! Et justement il est quatre heures, et elle n'a pas fait son lunch. Car elle fait son lunch tous les jours à une heure après-midi, comme la reine Victoria. Sabre et mitraille! elle n'a pas pris son lunch aujourd'hui! Ah! maudite étourderie!?
Au mot de lunch, les yeux de Louison étincelèrent de plaisir.
Elle regarda l'un des académiciens, brave homme, bien portant, gros, gras, frais et rose, ouvrit et ferma deux ou trois fois les machoires et fit claquer sa langue d'un air de satisfaction. De l'académicien, son regard se porta sur Corcoran. Elle paraissait lui demander si le moment était venu de luncher. L'académicien vit ces deux regards et palit.
?Allons, dit Corcoran, je reste.... Et toi, ma belle, ajouta-t-il en caressant Louison, tiens-toi tranquille. Si tu ne lunches pas aujourd'hui, tu luncheras demain, parbleu! Il ne faut pas être sur sa bouche.?
Ici Louison gronda légèrement.
?Silence, mademoiselle, dit Corcoran en levant sa cravache. Silence ou vous aurez affaire à Sifflante!?
Est-ce le discours du capitaine? est-ce la vue de Sifflante qui calma la tigresse? Elle se coucha à plat ventre en frottant sa belle tête contre la jambe de son ami en imitant le ron ron des chats.
?Messieurs, dit le président, je vous invite à vous rasseoir. Si la porte est fermée et barricadée c'est sans doute parce que le portier est allé chercher du secours. Prenons patience en l'attendant, et si vous voulez, pour ne pas perdre de temps, examinons sur-le-champ le beau travail de notre savant confrère M. Crochet sur l'origine et la formation de la langue mandchoue.
--Il s'agit bien de mandchou, interrompit en grognant un des académiciens. Je donnerais le mandchou, tous ses composés, tous ses dérivés, et par-dessus le marché le japonais et le thibétain, pour me chauffer à l'heure qu'il est les pieds au coin de mon feu. A-t-on jamais vu un coquin de portier comme celui-là? Brigand! je lui casserai ma canne sur les épaules!
--Je crois, suggéra le secrétaire perpétuel, que l'honorable assemblée ne jouit pas tout à fait du calme moral qui est si propre à favoriser les investigations de la science, en sorte qu'il para?tra peut-être convenable de remettre à un autre jour l'affaire des Mandchous. En revanche, s'il plaisait au capitaine de nous raconter par suite de quelles aventures nous nous trouvons aujourd'hui face à face avec Mlle Louison....
--Oui, reprit le président, capitaine, racontez-nous vos aventures et surtout l'histoire de votre jeune amie.?
Corcoran s'inclina d'un air respectueux et commen?a son discours en ces termes:

III
D'un tigre, d'un crocodile et du capitaine Corcoran.
?Peut-être avez-vous entendu parler, messieurs, du célèbre Robert Surcouf, de Saint-Malo. Son père était le propre neveu du beau-frère de mon bisa?eul. Le très-illustre et très-savant Yves Quaterquem[1], aujourd'hui membre de l'Institut de Paris, et qui a découvert, comme chacun sait, le moyen de diriger les ballons, est mon cousin germain. Mon grand-oncle Alain Corcoran, surnommé Barberousse était au collége en même temps que feu M. le vicomte Fran?ois de Chateaubriand, et eut l'honneur, le 23 juin 1782, d'appliquer son poing fermé sur l'oeil du vicomte, pendant la récréation, entre quatre heures et demie et cinq heures de l'après-midi. Vous voyez, messieurs, que je suis de bonne maison, et que les Corcoran peuvent lever haut la tête et regarder le soleil en face.
[Note 1: Voir les Amours de Quaterquem.]
De moi-même
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