Aventures merveilleuses mais authentiques du capitaine Corcoran | Page 3

Alfred Assollant
mais toujours inutilement.
?Monsieur, dit Corcoran qui eut pitié de son martyre, ne sonnez plus. Ce gar?on se sera pris de querelle avec Louison et aura quitté la salle.
--Avec Louison! s'écria le président. Mais cette jeune personne est donc d'un bien mauvais caractère?
--Non. Pas trop mauvais. Mais il faut savoir la prendre. Il aura voulu la brusquer. Elle est si jeune, elle se sera emportée, probablement.
--Si jeune! Quel age a donc Mlle Louison?
--Cinq ans tout au plus, dit Corcoran.
--Oh! à cet age-là, il est facile d'en venir à bout.
--Je ne sais pas. Elle égratigne quelquefois, elle mord....
--Mais, monsieur, dit le président, il n'y a qu'à la transporter dans une autre salle.
--C'est difficile, répliqua Corcoran. Louison est volontaire; elle n'est pas habituée à se voir contrariée. Elle est née sous les tropiques, et ce climat br?lant a excité encore l'ardeur naturelle de son tempérament....
--Voyons, dit le président, c'est assez causer de Mlle Louison. L'Académie a quelque chose de plus important à faire. Je reviens à notre interrogatoire. Vous êtes d'une santé robuste, monsieur?
--Je le suppose, répliqua Corcoran. J'ai eu deux fois le choléra, une fois la fièvre jaune, et me voilà. J'ai mes trente-deux dents, et quant à mes cheveux, touchez vous-même et voyez s'ils ressemblent à une perruque.
--C'est bien. Et vous êtes vigoureux, j'espère?
--Euh! dit Corcoran, un peu moins que mon défunt père, mais assez pour ma consommation journalière.?
En même temps, il regarda autour de lui, et, voyant que la fenêtre était scellée de gros barreaux de fer, il prit d'une main l'un des barreaux et, sans effort apparent, il le tordit comme un baton de cire rouge ramolli par le feu.
?Diable! voilà un vigoureux gaillard, s'écria un des académiciens.
--Oh! répliqua Corcoran d'un air tranquille ceci n'est rien. Mais si vous me montrez un canon de 36, je m'engagerai volontiers à le porter sur la montagne de Fourvières.?
L'admiration des assistants commen?ait à devenir de l'épouvante.
?Et, continua le président, vous avez vu le feu, je suppose?
--Une douzaine de fois, dit Corcoran. Pas davantage. Dans les mers de la Chine et de Bornéo, vous savez, un capitaine marchand doit toujours avoir quelques caronades à bord pour se défendre des pirates.
--Vous avez tué des pirates?
--A mon corps défendant, répliqua le marin, et deux ou trois cents tout au plus. Oh! je n'étais pas seul à la besogne, et sur ce nombre, je n'en ai guère tué plus de vingt-cinq ou trente pour ma part. Mes matelots ont fait le reste.?
A ce moment, la séance fut interrompue.
On entendit dans la salle voisine le bruit d'une et de plusieurs chaises, qu'une personne inconnue venait de renverser.
?C'est insupportable! s'écria le président. Il faut voir ce que c'est.
--Quand je vous disais qu'il ne fallait pas impatienter Louison! dit Corcoran. Voulez-vous que je l'amène ici pour la calmer? Elle ne peut pas vivre sans moi.
--Monsieur, répliqua assez aigrement un académicien, quand on a chez soi un enfant morveux, on le mouche; ou quinteux, on le corrige; ou criard, on le met au lit; mais on ne l'amène pas dans l'antichambre d'une société savante!
--Vous n'avez plus de questions à faire? demanda Corcoran sans s'émouvoir.
--Pardon! une encore, monsieur, dit le président en raffermissant sur son nez ses lunettes d'or avec l'index de la main droite. êtes-vous?... voyons, vous êtes brave, fort et bien portant, cela se voit. Vous êtes savant, et vous nous l'avez prouvé en nous parlant couramment l'indoustani, qu'aucun de nous ne comprend; mais, voyons, êtes-vous.... comment dirai-je?... fin et rusé, car vous savez qu'il faut l'être pour voyager chez ces peuples perfides et cruels. Et, quelque désir que l'Académie ait de vous décerner le prix proposé par notre illustre ami Delaroche, quelque passion qu'elle ait de retrouver le fameux Gouroukaramta que les Anglais ont cherché vainement dans toute la presqu'?le de l'Inde, cependant nous nous ferions un cas de conscience d'exposer une vie aussi précieuse que la v?tre, et....
--Si je suis ou non rusé, interrompit Corcoran, je l'ignore. Mais je sais que mon crane étant celui d'un Breton de Saint-Malo, et les poignets qui pendent au bout de mes deux bras étant d'une rare pesanteur, et mon revolver étant de bonne fabrique, et mon dirk écossais étant d'une trempe sans pareille, je n'ai encore vu nul être vivant qui ait mis impunément la main sur moi. C'est aux poltrons d'être rusés. Dans la famille des Corcoran, on fait son trou devant soi, comme un boulet de canon, et l'on passe.
--Mais, dit encore le président, quel est donc cet affreux vacarme? C'est encore, je suppose, Mlle Louison qui s'amuse? Allez la calmer un instant, monsieur, ou la menacer du fouet, car on n'y peut plus tenir.
--Ici, Louison, ici!? s'écria Corcoran sans quitter son fauteuil.
A cet appel, la porte s'ouvrit comme enfoncée par une catapulte, et l'on vit appara?tre un tigre royal d'une grandeur et d'une beauté extraordinaires. D'un bond,
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