Aventures merveilleuses mais authentiques du capitaine Corcoran | Page 2

Alfred Assollant
sur l'heure, et chacun alla d?ner.
Les concurrents se présentèrent en foule et briguèrent les suffrages de l'Académie; mais l'un était faible de complexion, l'autre était ignorant, un troisième ne connaissait des langues orientales que le chinois ou le turcoman, ou le pur japonais. Bref, plusieurs mois s'écoulèrent sans que l'Académie e?t fait un choix entre les candidats.
Enfin, le 26 mai 1857, l'Académie étant en séance, on remit au président la carte d'un étranger qui demandait à être admis sur-le-champ.
Sur cette carte était le nom: Le capitaine Corcoran.
?Corcoran! dit le président. Corcoran! Quelqu'un conna?t-il ce nom-là??
Personne ne le connaissait. Mais l'assemblée, qui était curieuse comme toutes les assemblées, voulut voir l'étranger.
La porte s'ouvrit et le capitaine Corcoran parut.
C'était un grand jeune homme de vingt-cinq ans à peine, qui se présenta simplement, sans modestie et sans orgueil. Son visage était blanc et sans barbe. Dans ses yeux, d'un vert de mer, se peignaient la franchise et l'audace. Il était vêtu d'un paletot de laine alpaga, d'une chemise rouge et d'un pantalon de coutil blanc. Les deux bouts de sa cravate, nouée à la colin, pendaient négligemment sur sa poitrine.
?Messieurs, dit-il, j'ai appris que vous étiez dans l'embarras, et je viens vous offrir mes services.
--Dans l'embarras! interrompit le président d'un air hautain, vous vous trompez, monsieur. L'Académie des sciences de Lyon n'est jamais dans l'embarras, non plus qu'aucune autre académie. Je voudrais bien savoir ce qui embarrasse une société savante qui compte parmi ses membres, j'ose le dire,--mettant à part l'homme qui a l'honneur de la présider,--tant de beaux génies, de belles ames et de nobles coeurs....?
Ici l'orateur fut interrompu par trois salves d'applaudissements.
?Puisqu'il en est ainsi, répliqua Corcoran, et que vous n'avez besoin de personne, j'ai l'honneur de vous saluer.?
Il fit demi-tour à gauche et s'avan?a vers la porte.
?Eh! monsieur, lui dit le président, que de vivacité! Dites-nous au moins le sujet de votre visite.
--Voici, répondit Corcoran, vous cherchez le Gouroukaramta, n'est-ce pas??
Le président sourit d'un air ironique et bienveillant à la fois.
?Et c'est vous, monsieur, dit-il, qui voulez découvrir ce trésor?
--Oui, c'est moi.
--Vous connaissez les conditions du legs de M. Delaroche, notre savant et regretté confrère?
--Je les connais.
--Vous parlez anglais?
--Comme un professeur d'Oxford.
--Et vous pouvez en donner une preuve sur-le-champ?
--Yes sir, dit Corcoran. You are a stupid fellow. Voulez-vous quelque autre échantillon de ma science?
--Non, non, se hata de dire le président, qui n'avait de sa vie entendu parler la langue de Shakspeare, excepté au théatre du Palais-Royal. C'est fort bien, cher monsieur.... Et vous connaissez aussi le sanscrit, je suppose?
--Quelqu'un de vous, messieurs, serait-il assez bon pour demander un volume de Baghavata Pourana? J'aurai l'honneur de l'expliquer à livre ouvert.
--Oh! oh! dit le président. Et le parsi? et l'indoustani??
Corcoran haussa les épaules.
?Un jeu d'enfant!? dit-il.
Et tout de suite, sans hésiter, il commen?a dans une langue inconnue un discours qui dura dix minutes. Toute l'assemblée le regardait avec étonnement.
Quand il eut fini de parler:
?Savez-vous, dit-il, ce que j'ai eu l'honneur de vous raconter là?
--Par la planète que M. Le Verrier a découverte! répondit le président, je n'en sais pas le premier mot.
--Eh bien! dit Corcoran, c'est de l'indoustani. C'est ainsi qu'on parle à Kachmyr, dans le Nepal, le royaume de Lahore, le Moultan, l'Aoude, le Bengale, le Dekkan, le Carnate, le Malabar, le Gandouna, le Travancor, le Co?mbetour, le Maissour, le pays des Sikhs, le Sindhia, le Djeypour, l'Odeypour, le Djesselmire, le Bikanir, le Baroda, le Banswara, le Noanagar, l'Holkar, le Bopal, le Baitpour, le Dolpour, le Satarah et tout le long de la c?te de Coromandel.
--Très-bien! monsieur. Très-bien! s'écria le président. Il ne nous reste plus qu'une question à vous faire. Excusez mon indiscrétion. Nous sommes chargés, par le testament de notre regrettable ami, d'une si lourde responsabilité, que nous ne saurions trop....
--Bon! dit Corcoran. Parlez librement, mais vite, car Louison m'attend.
--Louison! reprit le président avec dignité. Qui est cette jeune personne?
--C'est une amie qui me suit dans tous mes voyages.?
A ces mots, on entendit un bruit de pas précipités dans la salle voisine. Puis une porte fut fermée avec un grand fracas.
?Qu'est cela? demanda le président.
--C'est Louison qui s'impatiente.
--Eh bien, qu'elle attende, continua le président. Notre Académie n'est pas, je suppose, aux ordres de Mme ou Mlle Louison.
--Comme il vous plaira,? dit Corcoran.
Et, prenant un fauteuil que personne n'avait eu la politesse de lui offrir, il s'assit, commodément appuyé pour écouter le discours de l'académicien.
Or, le savant homme était fort en peine pour trouver un exorde, car on avait oublié de mettre sur la table de l'eau et du sucre, et chacun sait que le sucre et l'eau sont les deux mamelles de l'éloquence. Pour réparer cet oubli impardonnable, il tira le cordon de la sonnette.
Mais personne ne parut.
?Ce gar?on de salle est bien négligent, dit-il enfin; je le ferai renvoyer.?
Et il sonna deux fois, trois fois, cinq fois,
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