Aventures dun Gentilhomme Breton aux iles Philippines | Page 3

Paul de la Gironiere
presque sans moyens d'existence, il se retira à la
Planche avec toute sa famille.
Il y vécut quelques années, dans les ennuis et les chagrins que lui
causaient le passage subit de l'opulence à la gêne et l'impossibilité de
pourvoir à tous les besoins de sa nombreuse famille. Une maladie de
courte durée termina sa triste existence, et ses restes mortels furent
déposés dans le cimetière de Vertoux.
Ma mère, modèle de courage et de dévouement, resta veuve avec six
enfants, deux filles et quatre garçons; elle continua à habiter la
campagne, et nous donna elle-même les premiers éléments
d'instruction.
La vie libre des champs, les exercices violents auxquels nous nous
livrions, mes frères aînés et moi, contribuèrent à m'endurcir le corps, et
à me rendre capable de résister à toute espèce de fatigues et de
privations.
Cette vie de campagne, de liberté, et je puis dire de bonheur, pendant
mes jeunes années, passa bien vite; et bientôt arriva l'époque où les
besoins de mon éducation m'obligèrent à aller tous les jours étudier
dans un collége de Nantes: c'étaient quatre lieues que j'avais à faire
journellement.
Mais ces quatre lieues je les faisais gaiement, et le soir, quand je
rentrais à la maison, j'y retrouvais les caresses de notre bonne mère et
les petits soins de deux soeurs, que j'aimais tendrement.
On me destina à la médecine.
J'étudiai quelques années à l'Hôtel-Dieu de Nantes, et je fus reçu
chirurgien de marine à un âge où un jeune homme est encore
ordinairement renfermé entre les quatre murs d'un collége pour y

terminer ses études.
Il serait difficile de se faire une idée de ma joie lorsque je me vis
possesseur de mon diplôme de chirurgien.
Dès lors je me considérai comme un être important qui allait tenir sa
place parmi des hommes raisonnables et laborieux; et ce qui peut-être
me rendait encore plus joyeux, c'est que je pourrais alors pourvoir à
mon existence et venir en aide à ma mère et à mes soeurs.
J'étais aussi travaillé par la maladie de la locomotion et le désir de voir
des contrées lointaines et un nouveau monde.
Vingt-quatre heures après ma nomination de chirurgien, j'allai offrir
mes services à un armateur qui expédiait un navire aux Grandes-Indes.
Nous tombâmes bientôt d'accord sur les conditions. Pour quarante
francs par mois, je m'engageai à faire le voyage.
La Victorine, joli trois-mâts, était prête à mettre à la voile pour les îles
Maurice et Bourbon.
J'eus bientôt fait mes préparatifs de voyage; mais il n'en fut pas de
même de mes adieux.
Ce premier départ de la terre natale, cette première séparation d'une
mère chérie, de frères et de soeurs que j'aimais avec toute la force de
mon jeune coeur, me firent éprouver toutes les angoisses et l'agitation
que ressent celui qui sort de l'atmosphère d'affection et de tendresse où
se sont écoulées ses premières années.
Les dangers d'une longue navigation et toutes les privations que j'allais
supporter ne me préoccupaient pas.
J'étais entièrement absorbé par la pensée de mes parents: une année
s'écoulerait sans les voir, et peut-être sans avoir de leurs nouvelles! Une
année, pour moi qui à peine entrais dans la vie, me paraissait un siècle.
Que de malheurs et que d'accidents pouvaient arriver dans ma
nombreuse famille pendant ce long laps de temps! La crainte de ne pas

les retrouver tous à mon retour bouleversait mon être; et j'avoue qu'il
me fallut plus que du courage pour comprimer ma douleur, dévorer mes
larmes, et, le coeur tout gonflé d'angoisses, de craintes et d'espérances,
m'arracher des bras de ma mère et de mes soeurs.
Le lendemain de mes tristes adieux, la Victorine m'emportait vers un
autre hémisphère.
J'avais cependant un grand motif de consolation: mon jeune frère
Prudent était embarqué avec moi. Il était déjà fait à la mer. Dès sa
tendre enfance il avait navigué sur nos vaisseaux de guerre.
Appuyé sur les bords du navire, les yeux fixés sur cette terre qui
renfermait toutes mes affections, je conservai la même attitude jusqu'au
moment où, comme un gros nuage poussé par la bourrasque, elle
disparut à l'horizon.
La mer était houleuse; de grosses lames ballottaient la Victorine
comme un simple esquif.
Ce mouvement que j'éprouvais pour la première fois me produisit bien
vite les symptômes avant-coureurs du mal de mer. Je commençais déjà
à éprouver de véritables souffrances, lorsque le lieutenant du navire,
homme d'un caractère facétieux, m'adressa la parole:
«Docteur, me dit-il, vous commencez à pâlir; dans quelques minutes
vous donnerez à manger aux poissons. Mais que faites-vous donc de
votre science et de votre pharmacie? C'est pourtant le moment d'en user.
Vous autres, savants docteurs, vous ne comprenez rien au mal de mer.
Ce n'est pas comme nous, vieux marins, qui avons l'expérience. Si je
voulais, pourvu que vous eussiez un peu
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