allées a Jala-Jala, et elles étaient
nombreuses, ont été accueillies avec une rare bonté, non-seulement par
M. de la Gironière, mais aussi par sa femme, qui était la meilleure des
femmes, et par son frère, autre lui-même. Je les ai connus, et je les ai
beaucoup aimés. Comme personne n'a été mieux placé que moi pour
juger leurs rapports de famille, on peut me consulter sur n'importe quel
point qui pourrait nuire à la véracité de Don Pablo, ainsi qu'il était
nommé.
En lisant ses aventures, bien des personnes pourraient avoir des doutes
sur la véracité des incidents, ou supposer qu'il y a de l'exagération ou de
la fiction; on pourrait croire qu'un homme qui parle avec tant de
sans-gêne est pétri d'amour-propre, défaut qui transforme souvent des
événements ordinaires en périls et dangers imaginaires. Si M. de la
Gironière eût été pour moi un étranger, j'avoue que j'aurais eu des
doutes: la lecture de son livre m'eût peut-être laissé une impression
d'incrédulité; mais, connaissant son caractère et sa position et ce dont il
est capable, je suis prêt à constater les événements. Je suis sûr qu'il
donne une histoire fidèle de sa vie à Luçon; même personnellement je
puis dire plusieurs choses qui me sont connues. Tout ce qu'il a raconté
des moeurs des habitants est peint avec vérité et précision. Ces détails
m'ont fait une impression bien vive, à cause du souvenir de mes jours
passés au milieu des montagnes et des broussailles de Jala-Jala.
Don Pablo était un homme remarquable dans cette petite principauté.
On dit que la monarchie pure serait la perfection d'un gouvernement, si
l'on était sûr que les rois sont les plus intelligents et les plus sages; les
sujets placés sous la domination de M. de la Gironière avaient raison
d'être satisfaits de son pouvoir despotique, qu'il eut le bon sens
d'exercer avec une bienveillance et une justice qui lui attiraient le
respect et la confiance d'un peuple qui sait distinguer le mal du bien, et
qui craignait plus les reproches que les punitions. Il exerçait un pouvoir
qui lui était indispensable pour vivre parmi ces hommes à demi
barbares; il était très-courageux, toujours prêt à braver le danger. Son
courage n'était pas bouillant, mais calme. Il ne perdait jamais ce calme
ni son sang-froid, même en face de la mort... Il ne parle pas assez de ses
mérites, mais il parle souvent de son courage, croyant que tout autre en
ferait autant. Les environs de sa demeure étaient peuplés par les
hommes les plus féroces, et il s'en inquiétait peu. Quand ils devaient
l'attaquer, il allait à leur rencontre, et même dans leurs repaires.
Pourtant sa maison ne fut jamais envahie pendant son séjour par les
brigands. On le connaissait et l'estimait trop bien pour l'attaquer: mais à
peine l'eut-il quittée, que son successeur fut attaqué et pillé. Malgré son
grand courage, il était modeste; il avait des manières distinguées et
très-bienveillantes; il était bon pour tous ceux qui l'entouraient, et les
Indiens qui dépendaient de lui lui étaient très-attachés. Son départ fut
un triste jour pour eux.
Dans sa manière de vivre il y avait un charme inouï. On ne peut
comprendre comment il a pu quitter un pays où il était libre de ses
actions, pour revenir au milieu de la société. Il avait vaincu ce désert et
ses sauvages habitants. Quand il a jeté un dernier regard sur le bien-être
et les riches cultures qu'il avait créées autour de lui à Jala-Jala, son
coeur a dû faiblir. Mais hélas! il était seul, rien ne lui restait de ce qui
lui était cher; tous ceux qui l'avaient soutenu au milieu de ses rudes
travaux n'étaient plus. Son frère, qu'il aimait tant, succomba le premier;
ensuite sa femme et son enfant! Il ne pouvait rester au milieu d'objets
qui à chaque instant lui rappelaient tant de douleur. La description des
événements extraordinaires de sa vie dans un pays si peu connu et en
même temps si ravissant est exacte; et, en attestant que ce sont des faits
réels et non des fables, je ne fais que rendre hommage à un digne ami.
G.-R. Russel.
Juin 1854.
Jamaïca-Plaine, près Boston (États-Unis).
CHAPITRE PREMIER.
Naissance de l'auteur.--Premier départ pour l'Inde.--Deuxième,
troisième et quatrième voyage.
Mon père, né à Nantes d'une maison noble, était capitaine dans le
régiment d'Auvergne. La révolution lui fit perdre son grade et sa
fortune; il ne lui resta pour toute ressource que la Planche, petite
propriété appartenant à ma mère, et située à deux lieues de Nantes, dans
la commune de Vertoux.
Au commencement de l'empire il voulut reprendre du service; mais, à
cette époque, son nom et ses sentiments étaient un obstacle, et il échoua
dans toutes les tentatives qu'il fit pour obtenir le simple grade de
lieutenant.
Sans ressources et
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