de Banca; et enfin, le 4 juillet 1820, plus de huit mois après notre départ de Nantes, nous arrivions dans la magnifique baie de Manille.
Le Cultivateur alla mouiller près de la petite ville de Cavite.
J'obtins la permission de m'installer à terre, et je pris un petit logement à Cavite même, distante de Manille de cinq à six lieues.
La liberté que je venais d'obtenir de m'installer à Cavite ne m'affranchit pas de mes engagements envers mes armateurs; je conservai mon emploi à bord du Cultivateur, et continuai à donner mes soins à son équipage.
Dans les années 1819 et 1820, notre commerce avait fait de nombreuses expéditions aux Philippines; plusieurs navires fran?ais étaient dans le port de Cavite; parmi leurs officiers je fis quelques connaissances, et me liai d'amitié avec MM. de Malvilain, dont je parlerai plus loin, Drouand, qui commandait un brick de Marseille, et enfin avec le docteur Charles Beno?t, médecin de l'Alexandre, grand trois-mats de Bordeaux.
Beno?t eut quelques difficultés avec son capitaine; il débarqua à Cavite et vint s'installer chez moi.
Nous faisions donc ménage ensemble, vrai ménage de gar?on. Notre personnel se composait d'un vieil Indien, qui remplissait les fonctions de cuisinier, et d'un très-jeune, cumulant les fonctions de valet de chambre, de palefrenier, de laquais, etc.
Le temps s'écoulait pour nous rapidement, et dans toute l'insouciance du jeune age qui jouit du présent sans penser à l'avenir, lorsqu'un incident imprévu vint nous séparer.
Un dimanche, je passais la soirée chez le gouverneur de Cavite; Beno?t s'y présenta, les vêtements en désordre et les traits aussi altérés que s'il venait d'être frappé d'un grand malheur.
?Nous sommes volés, dit-il, pillés, dévalisés; nous ne possédons plus rien; notre valet de chambre a brisé nos malles, s'est emparé de notre argent, de nos vêtements, de tout ce que nous possédions, puis il a pris la fuite.?
La physionomie de Beno?t m'avait fait croire à une bien plus grande catastrophe que le malheur qu'il venait de m'annoncer, ce qui me fit lui répondre presque en souriant:
?Est-ce pour si peu de chose que vous êtes ainsi bouleversé? Cela n'en vaut pas la peine; Santiago ne nous a point enlevé une fortune, car vous et moi nous ne possédions pas grand'chose; et si, comme vous le dites, nous avons tout perdu, nos navires, où nous sont assurés un g?te et la nourriture, sont toujours dans le port. Calmez-vous, et allons voir si Santiago a fait quelque oubli, ou s'il est possible d'aller à sa poursuite.?
Nous nous rend?mes à notre demeure, où bient?t j'eus la conviction que mon ami Beno?t avait raison pour ce qui le concernait; Santiago s'était littéralement emparé de tout ce qui lui appartenait, mais il avait scrupuleusement respecté tout ce qui était à moi.
Cette déférence de Santiago pour moi était une énigme; quelques jours après, mon vieux cuisinier me l'expliqua ainsi:
?Votre compatriote, me dit-il, n'est pas un bon chrétien, c'est un judio (juif). Jamais il ne prie pendant l'Angélus; tout au contraire, lorsque la cloche annonce aux fidèles de se recueillir, il prend son flageolet et se met à jouer, comme s'il voulait tourner en dérision la prière.?
C'était la vérité, et sans aucun doute Santiago avait cru faire une oeuvre méritoire en dépouillant un mécréant.
Après avoir fait mon inventaire, je fus touché de l'affliction de mon ami; je lui proposai de nous mettre à la poursuite de Santiago. Nous montames à cheval, et pr?mes la direction qu'il avait d? suivre.
La nuit était très-obscure; nous avions de la peine à diriger nos chevaux; à peu de distance du bourg de San-Roque, nous nous jetames dans des sables mouvants, où nos montures enfon?aient jusqu'à mi-jambes; Beno?t, qui n'était pas bon cavalier, fit une chute qui le démoralisa complétement. Il me pria de retourner sur nos pas. Le lendemain il partit pour la capitale, où il espérait que s'était réfugié son voleur; ce ne fut que plusieurs mois après que je le revis à Manille.
Beno?t parti, Cavite et ses alentours me parurent un champ trop limité pour satisfaire mon penchant aux grandes excursions; le fusil sur l'épaule, je me mis à parcourir le pays dans tous les sens.
Prenant pour guide le premier Indien que je rencontrais, je faisais de longues courses dans les campagnes, moins occupé à chasser qu'à admirer cette magnifique nature.
Je savais déjà un peu d'espagnol, auquel je pus bient?t ajouter quelques mots tagalocs.
était-ce comme une excitation poétique? était-ce un désir vague d'affronter des dangers? J'aimais surtout à fréquenter les lieux retirés que l'on disait infestés de bandits; plus d'une fois j'en rencontrai sur ma route, mais la vue de mon fusil les tenait en respect, et je n'en avais pas peur.
Je puis dire qu'à cette époque (et ce n'était sans doute pas bravoure) j'avais si peu le sentiment du péril que j'étais toujours prêt à me mettre en avant lorsqu'il y avait un danger à
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