Aventures Extraordinaires dun Savant Russe; III. Les Planètes Géantes et les Comète | Page 3

Georges le et Henri de Graffigny Faure
avait conservé assez de
sang-froid pour faire cette constatation qu'il conserva par devers lui,
jugeant ses amis assez déprimés déjà, pour qu'il ne cherchât point à
augmenter encore leur désespoir.
Farenheit, cependant, était sorti de son atonie et, s'approchant du vieux
savant, lui demandait, la voix grondante d'une colère difficilement
contenue:
--Eh bien! monsieur Ossipoff, depuis bientôt six mois que vous nous
traînez à votre suite, avec l'espoir de nous mettre dans une situation
inextricable, cette fois vous devez être satisfait,... car du diable si vous
allez pouvoir nous tirer d'ici.
[Illustration]
Le vieillard se contenta de hausser les épaules et ne répondit pas.
--Si encore vous pouviez nous dire où nous sommes, bougonna
l'Américain! mais à voir les regards interrogateurs que vous lancez de
tous côtés, il est facile de deviner qu'à ce point de vue-là, vous êtes
aussi ignorant que nous...
--Dame! ça manque de points de repère, ricana Gontran.
--Peuh!
Et il ajouta:
--Ce n'est point de savoir où nous sommes qui m'intéresse, mais de

savoir où nous allons.
Fricoulet dit alors en s'adressant à l'Américain:
--Sir Jonathan, si ce peut être un adoucissement à votre chagrin que de
connaître la contrée martienne en laquelle la fatalité vous condamne à
terminer une existence consacrée jusqu'à présent au commerce des suifs,
soyez satisfait: nous devons nous trouver, en ce moment, au milieu de
l'Océan Kepler, appelé, par Schiaparelli, mer Erythrée et--voyez si je
précise--dans l'endroit désigné par lui sous le nom de Région de
Pyrrhus.
Séléna qui, avec les rayons du soleil, avait repris son courage et sa
bonne humeur, sortit alors du silence dans lequel elle s'était renfermée
jusque-là.
--Monsieur Fricoulet, demanda-t-elle, vous seriez bien aimable de
résoudre pour moi un problème que je me pose inutilement depuis un
quart d'heure.
--Parlez, mademoiselle; et s'il est en mon pouvoir de répondre, je
répondrai; autrement, je vous renverrai aux lumières de mon ami
Gontran.
[Illustration]
M. de Flammermont hocha la tête, d'un air mécontent, du côté
d'Ossipoff.
Mais le vieillard était occupé à dévisser, pour la nettoyer, la lunette
marine qu'il portait en bandoulière, et il était bien trop absorbé par ce
travail pour songer à écouter ce qui se disait autour de lui.
--Monsieur Fricoulet, dit Séléna, le sol sur lequel reposent nos pieds en
ce moment est, n'est-ce pas, de même composition que le sol terrestre?
--Absolument oui, mademoiselle, du moins c'est ce qu'il me semble à
première vue.

--Cependant, il serait impossible, sur notre planète natale, de faire
flotter à la surface de l'eau un carré de terre ou un quartier de roche.
--Effectivement.
--D'où vient alors que ce lambeau d'île puisse nous servir de radeau?
--De ceci, mademoiselle: que, dans le monde où nous sommes, la
densité moyenne des matériaux est d'un tiers inférieure à celle des
matériaux terrestres, et que la pesanteur y est trois fois plus faible... Il
est donc à présumer que l'îlot qui nous porte a une densité un peu
inférieure à celle de cet Océan,... tenez, peut-être une densité égale à
celle de la glace...
En ce moment, le visage de la jeune fille se contracta péniblement, puis
elle porta, dans un geste douloureux, les mains à sa poitrine, en même
temps qu'elle devenait toute pâle.
[Illustration]
--Qu'avez-vous, ma chère Séléna? s'écria Gontran en avançant les bras
pour la soutenir.
--Je ne sais, balbutia-t-elle, mais je ressens là... une souffrance
intolérable,... c'est peut-être la faim.
À peine Mlle Ossipoff eût-elle prononcé ces mots que Farenheit poussa
un formidable juron.
--Eh! by God! grommela-t-il,... c'est cela, c'est bien cela!... voilà un
quart d'heure que, sans en rien dire, j'éprouve un malaise inexprimable,
incompréhensible,... j'ai faim.
Et il promena autour de lui des regards avides, semblables à ceux que
roule un fauve affamé.
Fricoulet fronça les sourcils.
--Mon pauvre sir Jonathan, répliqua-t-il, votre appétit tombe mal, car le

garde-manger est vide... ou à peu près...
--Ou à peu près, répéta l'Américain en se rapprochant.
[Illustration]
L'ingénieur tira de sa poche une petite fiole.
--Mes amis, dit-il, il y a là-dedans douze doses de liquide nutritif que
ma prévoyance m'avait fait emporter.
Farenheit fit mine de s'emparer de la bouteille; Gontran se jeta,
menaçant, devant lui.
--Mlle Ossipoff, d'abord, déclara-t-il.
--Soit, riposta l'Américain; mais qu'elle se hâte, alors, car je défaille.
Comme M. de Flammermont tendait la main vers le précieux flacon.
--Un moment encore, dit l'ingénieur, entendons-nous bien pour qu'il n'y
ait point ensuite de disputes entre nous: pour bien faire, il nous faudrait
à chacun deux doses par jour; or, la fiole n'en contenant que douze, cela
réduirait notre alimentation à vingt-quatre heures.
--Fort bien calculé, grommela Gontran, mais, de grâce, hâte-toi...
--Je propose, en conséquence, de nous contenter, pour aujourd'hui,
d'une dose seulement,... de façon à pouvoir résister demain encore...
--La belle avance, gronda Farenheit,... cela ne servira qu'à prolonger
notre agonie.
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