Autour de la table | Page 7

George Sand
r?le de mod��les. En deux ou trois si��cles, les grands noms sont faits, d��faits ou refaits. Ils ne sont r��ellement consacr��s qu'apr��s l'��puisement des r��actions contraires; et alors, on sent pour eux une indulgence absolue, qui n'est que justice absolue. De m��me qu'il n'est pas de grand personnage historique qui n'ait eu dans sa vie quelque erreur ou quelque tache, il n'est pas de grand artiste qui n'ait eu son c?t�� faible ou d��sordonn��, et dont on ne puisse dire: il fut homme; ce qui n'emp��che pas d'ajouter: il fut grand.
Quand vous regardez les Noces de Paul V��ron��se, songez-vous �� critiquer les costumes, le local, les accessoires si peu appropri��s au temps et au sujet? La Diane de Jean Goujon ne p��che-t-elle pas contre toutes les r��gles de la statuaire du Parth��non? Sa riche et ��trange coiffure est-elle en rapport logique avec sa nudit��? Les Graces de Germain Pilon ne sont-elles pas de pure convention, comme formes et comme ajustement? Quels sont les habitants d'une plan��te sup��rieure �� la n?tre qui ont pos�� pour Mo?se, pour les Sibylles, pour l'Adonis de Michel-Ange? Si vous jugez avec le compas et avec le raisonnement, tous ces chefs-d'oeuvre sont inadmissibles dans votre mus��e. Vous y recevrez tout au plus l'Apollon du Belv��d��re, un bien joli petit monsieur, mais qui ne p��se pas beaucoup aupr��s du Christ vengeur de Michel-Ange. Il est cependant plus ��l��gant, plus correct. Il dut ��tre l'id��al des dames de son temps, alors qu'on se repr��sentait le dieu des vers fris�� et parfum�� comme Alcibiade. Il est charmant, ne vous fachez pas, et le Christ de la chapelle Sixtine, avec ses formes athl��tiques et sa pose terrifiante, n'est que sublime.
Permettez-moi de vous dire: Oui, Victor Hugo a des fantaisies Watteau tout au beau milieu de ses fi��vres dantesques; oui, ses statues ont des jambes trop longues ou des poitrines trop ��troites, comme celles des divinit��s de Jean Goujon, ou des t��tes trop grosses et des jambes trop courtes, comme quelques-uns des personnages de Michel-Ange; oui, l'ornement est quelquefois trop capricieux et trop prodigu�� chez lui, comme chez Paul V��ron��se, Titien, Giorgione et tous les artistes de la Renaissance. Et c'est pour cela qu'il est un ma?tre que l'on peut, que l'on doit nommer �� c?t�� de ceux-l��; c'est pour cela que, n'��tant pas toujours correct et charmant, il a, lui aussi, le malheur de n'��tre que sublime.
--Allons, dit Th��odore, je me laisse aller �� tout ce que vous voudrez, pourvu que vous me prouviez par quels endroits il est synth��tique. Au moins tous ceux que vous venez de me citer ont ��t�� d'accord avec eux-m��mes; mais Victor Hugo ne me semble pas ��tre quelqu'un, tant il est multiple dans sa fantaisie. Je vous accorde qu'il a r��sum�� par la parole la grande peinture et la grande sculpture, qui ne semblaient pas pouvoir y ��tre contenues: c'est pardieu bien pour cela que je lui reproche de n'avoir rien �� lui en fait d'id��es. Le talent est immense, mais l'ame est incompl��te, incertaine ou insaisissable. Voyons quelle d��finition vous me donnerez d'un g��nie si chatoyant et si d��r��gl��?
--Je vous r��pondrai comme je viens de le faire, en vous donnant, jusqu'�� un certain point, gain de cause, sauf �� vous dire qu'on perd plus souvent les bons proc��s qu'on ne les gagne, quand on plaide contre une id��e qui fait loi dans certains esprits. Je voudrais en vain vous convaincra; si vous avez un parti pris contre les organisations �� grande extension, vous me direz toujours, et de tous, m��me de Shakspeare, et surtout de Shakspeare: ?Je veux qu'il se r��sume, qu'il se retienne, qu'il se prononce, qu'il se fixe... ou qu'il se taise!?
--Ce serait dommage quant �� celui-ci, dit avec am��nit�� le bon Th��odore; et j'aime mieux lui passer ses exc��s. Mais expliquez-moi ce que vous entendez par g��nie �� grande extension?
--L'extension dans tous les sens, et c'est l�� ce qui caract��rise les v��ritable ma?tres. Quand le divin Hom��re, au moment de mettre en pr��sence ses h��ros de cent coud��es, s'interrompt tout �� coup pour d��crire minutieusement le bouclier charg�� de sujets et de figures, et non-seulement l'objet d'art, mais encore les sept couches de cuir ou de m��tal qui en assurent la solidit��, il est certain qu'il p��che contre la r��gle de la composition et contre l'int��r��t dramatique, impitoyablement suspendu pour faire place au go?t de l'artiste et �� la science de l'armurier. Si quelqu'un se permettait aujourd'hui pareille chose....
--Victor Hugo se le permet! il vous arr��te sur un d��tail, sur un incident, et, apr��s avoir bien pos�� son id��e, il vous leurre de la conclusion ou vous la fait attendre, par une v��ritable promenade de propri��taire dans tous les palais de sa fantaisie.
--C'est vrai! r��pondit Julie. Qu'il soit donc maudit, le maladroit, et qu'il s'en aille au panier de Th��odore,
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