idée éclairent son action inhibitoire sur la pensée. Elle
est la survivance des âges lointains de l'humanité, le reliquat des
fausses certitudes, des illogismes, des craintes superstitieuses des temps
écoulés, le signe général évoquant l'ensemble des méthodes
irrationnelles où se fourvoya l'esprit de recherche. Elle fut toujours et
demeure encore, par conséquent, une négation directe de l'idée
d'évolution.
* * * * *
III [p.31]
Résumons brièvement la double analyse précédente.
Trois idées-forces, pour parler comme M. Fouillée, ont guidé la
philosophie du passé. Les idées d'_unité_ et d'_évolution_
appartiennent à la science. Elles expriment le fonds propre de celle-ci,
elles figurent ou symbolisent la recherche expérimentale. L'idée de
l'_au-delà_ appartient à la métaphysique qui la reçut en héritage de la
théologie. Elle forme l'apport atavique de l'ignorance primitive, elle
figure ou symbolise l'incertitude initiale, inséparable de l'esprit de
crédulité.
[p.32] Mais ces mêmes idées directrices manifestent en outre deux
tendances fondamentales qui, dans l'ordre intellectuel, s'opposent
comme l'affirmation et la négation, et, dans l'ordre émotif, comme
l'optimisme et le pessimisme du savoir. Certes, nous sommes loin de
mépriser les avantages qui se peuvent retirer du pessimisme ou de la
négation contenus en de justes bornes. Nous sommes loin aussi de
contester l'utilité relative du mythe religieux. Mais cela ne saurait nous
empêcher de reconnaître la vérité de l'observation selon laquelle
l'agnosticisme, pénétrant dans le milieu façonné par les découvertes de
la science, y détermina toujours une forte fermentation métaphysique.
Dans la philosophie du temps actuel, ces trois grandes idées sont
largement représentées.
Le criticisme, héritier direct de l'idéalisme, commence par raffermir sur
ses bases l'agnosticisme ébranlé par les progrès de la science. Il cherche
à établir un modus vivendi provisoire [p.33] entre l'a priori et l'a
posteriori. Voici, en deux mots, comment il procède: il range un
élément théorique important, l'unité, dans le domaine de l'_a priori_; il
le distrait totalement de la science, à qui il ne laisse qu'un seul
ingrédient, le différentiel, le multiple, ou révolution sous le nom
d'expérience sensible. Il arrive ainsi à créer ou, plutôt, à renouveler le
monisme transcendant.
Kant se préoccupe beaucoup de l'unité philosophique. Il croit même
avoir fait, à cet égard, un pas considérable en avant. Il assimile ce qu'il
appelle sa découverte à celle de Copernic renversant les rôles attribués,
dans leur révolution réciproque, à la terre et au soleil. La comparaison
semble exacte en ce sens que, si les principaux adversaires de Kant
concevaient la matière comme le foyer central où se réunissent toutes
les existences, lui, l'idéaliste nourri par la forte critique sensualiste
dirigée contre les excès du matérialisme, se tournait du côté opposé. Il
subordonnait la nature à l'esprit, [p.34] il proclamait hautement que
l'universalité et la nécessité--encore deux synonymes vagues de l'unité
si ardemment poursuivie--entrent dans la connaissance par le sujet, seul
élément actif, non par l'objet, produit à peu près passif de notre
mentalité. Mais l'analogie invoquée par Kant ne se justifie plus si l'on
songe que l'inversion dont il s'attribue le mérite est aussi vieille que la
philosophie elle-même. Kant reprend la thèse du monisme idéaliste
affirmant la suprématie du sujet sur l'objet. L'homme est la mesure des
choses, disait Protagoras, les idées sont la seule réalité certaine, répète
après lui Platon, les objets de l'expérience sont nos objets, conclut Kant,
en se doutant bien un peu, je suppose, qu'il paraphrase ses
prédécesseurs. La solution de Kant ne résout évidemment rien. Son
monisme est aussi hypothétique et exclusif que les tentatives qui
préparèrent la sienne. La question demeure posée dans les mêmes
termes. Toutefois, en accusant l'importance du point de vue biologique,
[p.35] jusque-là trop négligé, la critique kantienne élargit le terrain de
l'éternelle dispute, elle ajoute à l'enquête de nouveaux documents, elle
complète, pour ainsi dire, l'inventaire métaphysique.
La philosophie positive vient ensuite. Héritière du matérialisme, elle
procède comme son ancêtre direct, elle a la passion de tout vulgariser.
Mais, cette fois, la thèse qu'elle popularise inconsciemment se distingue
à peine de celle défendue par le criticisme. A son tour, elle se donne la
tâche d'établir un modus vivendi entre les termes de l'antique antinomie.
Pourtant, elle fait la part plus grande à l'élément scientifique, à
l'évolution, à l'expérience. Elle développe le principe expérimental
jusqu'à lui subordonner l'idée unitaire. Elle prend ainsi, selon nous,
justement le contre-pied du vrai rapport qui existe entre révolution et
l'unité; et son monisme, irréparablement atteint par ce vice radical,
demeure terne, vague, contradictoire, indécis.
[p.36] Au positivisme enfin succède l'évolutionnisme qui dévoile avec
franchise le sens réel des croyances théologiques. Cette philosophie
ramène l'idée divine et le sentiment religieux au concept
essentiellement émotif de l'Incognoscible. Mais loin d'en inférer la
déchéance future de l'agnosticisme, elle porte aux nues cette tendance
de l'esprit humain, elle célèbre ses mérites, elle s'efforce d'en faire le
pivot central d'une conception rationnelle de la
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