premier
résultat de ces efforts encore si incertains fut de rejeter du positivisme
l'élément mystique, et en même temps de conserver, de raffermir, de
développer ses deux autres principes constitutifs?[5]
* * * * *
II [p.19]
La philosophie évolutionniste nous découvre une autre face de la
contradiction fondamentale entre l'agnosticisme et le monisme.
Destinée, au dire de ses adeptes, à révolutionner la philosophie, la
science, l'art et jusqu'à la vie collective, cette grande doctrine prétend
inaugurer une méthode neuve, originale. Infiniment soucieuse des
racines et des commencements, elle suit à la trace, elle note avec soin, à
travers les temps et les milieux, la marche graduelle des choses et des
êtres. Mais l'histoire de tous les évangiles se ressemble, [p.20] d'une
façon étonnante. Celui que divulguent aujourd'hui les apôtres de
l'évolution s'accompagne d'une espérance robuste, d'une foi naïve.
Ainsi évoque-t-il le souvenir de la bonne nouvelle qui, partie jadis
d'une infime bourgade de Judée, rayonna dans le monde antique. Un
Dieu nous est né, annonçait-on alors avec un enthousiasme plus sincère
et plus communicatif sans doute, mais de nature pareille à l'engouement
contemporain, et un chemin foncièrement nouveau s'ouvre au salut de
l'âme humaine. On oubliait, on négligeait un détail qui ne manque
pourtant pas d'importance: les incarnations divines précédentes, le
grand souffle bouddhique de charité, le courant d'amour universel
entraînant et sauvant des millions d'âmes ancêtres!
L'illusion du vieux-neuf est tenace dans l'humanité; aucune croyance ne
l'évite. Elle se loge au coeur même de la théorie qui aspire à la dissiper
en l'expliquant, elle s'empare de la doctrine qui enseigne que tout a son
germe [p.21] en tout. Mais, brouillant la vue claire du passé, elle
empêche de saisir le sens direct des modalités présentes.
Il est peut-être temps de mettre un peu d'eau dans le vin qui enivre les
évolutionnistes. Non, leur fameuse thèse n'est pas le verbe nouveau
qu'ils disent, la lueur subite venant illuminer les sciences connexes de
la vie, de l'âme et des sociétés humaines. C'est là, au contraire, une
vérité très ancienne, très éprouvée et très générale, qui suscita des luttes
innombrables, qui eut ses périodes de vigueur et ses époques de
défaillance, ses éclipses et ses réapparitions triomphales;--une vérité, en
somme, qui, loin d'imposer à notre esprit une discipline et des règles
jusque-là inconnues, le contraint plutôt à suivre docilement, en ses
explorations récentes, la voie scientifique depuis longtemps ouverte.
Les choses et leurs apparences, les phénomènes, coulent, changent,
deviennent, évoluent: nul dogme d'envergure plus vaste ne [p.22]
précéda cette généralisation solidement établie par la science du
nombre, par la mécanique céleste et terrestre, par la physique et la
chimie rudimentaires. Le concept de mouvement qui relie et unifie ces
diverses recherches, nous apporte à cet égard un témoignage
irrécusable; car c'est au mécanisme que les théories évolutives
modernes, forcées dans leurs derniers refuges métaphysiques, ramènent
les changements quelconques et les mutations d'existence si
allègrement résumés par elles en leur vocable préféré. Un second
témoignage, et non moins précieux, nous est fourni par la métaphysique
édifiant sur le concept du «devenir» une foule de déductions
extrêmement ingénieuses. Mais d'où pouvait-elle tenir ce concept
central, sinon de l'expérience contemporaine, et comment, sans l'appui
des hypothèses particulières, des spéculations scientifiques de l'époque,
eût-elle réussi à maintenir des affirmations aussi hasardées? On
désavoue et condamne l'esprit même de la doctrine [p.23]
évolutionniste en supposant possible une brèche, une solution de
continuité de cette sorte.
L'idée d'un développement successif apparaît comme une des plus
vieilles notions qui dirigèrent le savoir particulier. C'est à ce dernier
que la métaphysique emprunta l'abstraction correspondante. Succédant
à la théologie, elle installa sur les ruines des croyances confusément
intégrales des premiers âges de la pensée, la différenciation classique
des «trois devenirs»,--celui de la matière ou du mouvement, celui de la
vie ou de la sensation, et celui de l'esprit ou de l'idée.
Mais la science la plus primitive et la métaphysique la plus puérile se
sont toujours inspirées d'un autre principe encore, que toutes deux
plaçaient, clans l'échelle abstractive, au-dessus de l'idée d'évolution, et
que toutes deux considéraient, par le fait, comme le but suprême de la
connaissance. Je veux parler du concept d'unité.
L'idée d'évolution offrait un moyen sûr pour [p.24] ramener la
multiplicité effective des phénomènes à leur identité essentielle. Le
principe inférieur symbolisait l'ensemble des méthodes rationnelles
capables de nous conduire à une telle fin. Il se pliait de lui-même aux
exigences du principe supérieur. On entra donc de prime abord et
résolument dans la voie monistique.
Le devenir, différentiel et multiple par définition, de l'être toujours un
et semblable à lui-même, ou, en d'autres termes, l'unité de l'univers et
son explication scientifique la plus plausible, l'évolution des choses, se
présentent ainsi, avec évidence, comme les deux grandes idées
régulatrices de toute spéculation générale. Un rapport logiquement
nécessaire, expérimentalement vérifiable, relie
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