Auguste Comte et Herbert Spencer | Page 2

E. de Roberty
les ambitions rénovatrices du Travail.
_Paris, en avril 1894._
NOTES:
[1] Agnosticisme, pp. 72-73, 107-113, et _La Recherche de l'Unité_,
passim.
[2] Agnosticisme, pp. 112-113.
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AUGUSTE COMTE ET HERBERT SPENCER [p.1]
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LIVRE PREMIER
LE PROBLÈME DU MONISME DANS LA PHILOSOPHIE DU
TEMPS PRÉSENT
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I
Le caractère dominant du positivisme, le «trait propre» qui valut à cette
doctrine tant de disciples enthousiastes, est aujourd'hui sainement
apprécié même des adversaires. Ceux-ci, en effet, admettent déjà
volontiers que la philosophie positive «révèle un sentiment _beaucoup
plus vif qu'on ne l'éprouvait auparavant_: 1° de la liaison des choses, et
2° des [p.2]limites infranchissables qui bornent nos connaissances.
Le positivisme s'affirmerait donc à la fois comme un monisme plus
radical et comme un agnosticisme plus accentué que les conceptions
philosophiques qui le précédèrent et le préparèrent. Je souscris
entièrement à la seconde caractéristique. Quant à la première, je ne
saurais l'accepter sans des réserves expresses.
Par sa belle classification des sciences spéciales, par la consécration
qu'il apporte à une science nouvelle, la sociologie, si admirablement
soudée par lui à la série inorganique et biologique, puis considérée
comme le terme final de nos connaissances abstraites, Auguste Comte
développe, en effet, un genre de monisme fort injustement délaissé par
ses prédécesseurs et très capable, en somme, d'impressionner un siècle
comme le nôtre, à la fois glorieux de ses grandes découvertes et fatigué,
presque rassasié de ses succès scientifiques.
A la foule croissante des esprits éclairés ce [p.3] maître de la pensée
contemporaine laisse entrevoir le triomphe possible d'une «unité
cérébrale», comme il l'appelle, fondée sur les données certaines de la
science. Par malheur, Comte ne se borne pas à déclarer la guerre au
seul monisme transcendant. L'erreur côtoie chez ce philosophe le plus
juste sentiment critique et le pousse à envelopper dans la même
proscription l'unité pure, l'unité rationnelle, ostensiblement confondue
par lui avec la chimère métaphysique.
Il n'y avait, certes, ni sagesse, ni grande clairvoyance à lever ainsi la
hache sur les racines profondes du monisme scientifique dont on
voulait favoriser l'éclosion. Les ambages et les tâtonnements de Comte
devaient, du reste, flatter les goûts et satisfaire les préjugés de ces
majorités vaguement instruites aux yeux desquelles l'indécision passe

presque toujours pour un signe de prudence, pour une temporisation
habile.
Trois forts courants intellectuels s'introduisent [p.4]manifestement dans
l'ensemble de l'oeuvre d'Auguste Comte; trois grandes idées directrices
se dégagent de la philosophie positive comme son résumé, son résidu,
son enseignement suprême, son legs définitif aux âges futurs. Ce sont,
dans l'ordre hiérarchique de leur puissance respective: 1° le courant
agnostique, le plus considérable, le plus violent de tous, ou l'idée de
_limite_; 2° le courant historique, ou l'idée d'_évolution_, de progrès
lentement gradué, s'effectuant par nuances insensibles, cela aussi bien
dans les sociétés humaines que dans la nature vivante et le monde
inorganique; enfin, 3° le courant monistique, l'idée d' unité cérébrale, le
point le plus faible, le moins développé dans la conception positive de
l'univers.
Envisagé soit comme doctrine pure, soit dans ses applications aux
nécessités immédiates de la vie mentale, l'agnosticisme régente
tyranniquement les deux autres parties de la philosophie positive et
surtout son troisième principe, le monisme, auquel, et nous le verrons
plus [p.5] tard, l'intolérance des adeptes du non possumus relativiste ne
laisse, pour ainsi dire, qu'une ombre d'existence, un rôle à peu près
dérisoire.
Littré fait très bien ressortir l'intransigeance de son maître. Il le dit en
propres termes: Pour le philosophe positiviste, l'univers cesse de se
montrer concevable en son ensemble et se scinde en deux parts, l'une
connue ou plutôt connaissable selon les conditions humaines, l'autre
inconnue ou plutôt inconnaissable, soit dans la durée de l'espace, soit
dans celle du temps, soit dans l'enchaînement des causes. Cette
séparation entre l'accessible et l'inaccessible est la plus grande leçon,
que l'homme puisse recevoir, de vraie confiance et de vraie
humilité.--Et presque aussitôt il ajoute ces lignes significatives: «Il ne
faut pas considérer le philosophe positif comme si, traitant uniquement
des causes secondes, _il laisse libre de penser ce qu'on veut des causes
premières_. Non, il ne laisse là-dessus aucune liberté; sa détermination
[p.6] est précise, catégorique et le sépare radicalement des philosophies

théologiques et métaphysiques.» Voilà des déclarations nettes. Elles
émanent du disciple qui se posa pour règle de ne jamais dépasser les
conceptions du maître, qui souvent même se glorifia d'avoir su les
restreindre à leur expression première. Il suffit, d'ailleurs, d'ouvrir le
Cours de philosophie positive pour se convaincre de la fidélité
scrupuleuse apportée par Littré à l'interprétation de la doctrine de
Comte. Mais que penser alors de l'objection qui nous fut faite
dernièrement et qui consiste à soutenir que «nulle trace de pessimisme
intellectuel» ne s'observe chez Comte; ou encore que «l'inconnaissable
de ce philosophe, résultant des
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