Auguste Comte et Herbert Spencer | Page 6

E. de Roberty
elle souhaite la fusion intime de ces deux principes d'abord vaguement distingués et plus tard posés, par l'analyse verbale, comme contraires réels.
La mécanique s'appuie sur la base des mathématiques, la physique s'étaye des vérités mécaniques, la chimie se développe sur les fondements établis par la physique; et la série se prolonge pour toutes les créations mentales venues à temps sur la pente qui conduit l'esprit du plus connu au moins connu, des apparences simples et élémentaires aux apparences complexes et difficiles. Par contre, la discipline qui ne voulut pas se conformer à cette marche nécessaire ignora, de parti pris, l'idée d'évolution. Toute science hative et prématurée prétendit pouvoir se passer de la méthode expérimentale, de l'examen attentif des faits concrets, individuels. Telles s'offrent à nos yeux la biologie avant l'épanouissement des connaissances [p.26] physico-chimiques, et, a fortiori, la sociologie et la psychologie; et telle se dévoile surtout la synthèse philosophique qui jamais ne réalisa les conditions exigibles d'une formule savante de l'univers. Conception batarde, rivale déjà trop faible de la théologie plus simpliste, plus vivante, elle se sépara des sciences pleinement constituées et se rapprocha des branches naissantes du savoir. Elle conclut avec celles-ci une alliance si étroite qu'à certaines époques il e?t été vraiment difficile de dire, par exemple, où finissaient la psychologie et la morale, la règle sociologique, et où commen?ait l'ontologie, la théorie des principes essentiels du monde. Aussi cette sorte de philosophie demeura-t-elle longtemps, sinon hostile au principe évolutif et à la méthode expérimentale, du moins incapable de faire fructifier le premier, ou d'appliquer sérieusement la seconde.
La progression de l'idée moniste en éprouva un retard sensible. Cet effet ne pouvait manquer de se produire, puisque le principe évolutif [p.27] joue à l'égard de l'idée d'unité le r?le d'un coefficient qui en décuple la valeur. Le monisme scientifique s'arrêta même brusquement dans sa marche vers le conquête de l'inconnu; il n'osa pas franchir les écueris mystérieux qui se dressent entre le monde de la vie et la nature inorganique. Et le monisme philosophique, déviant de plus en plus de la route qui mène à l'unité rationnelle, finit par se transformer en un monisme transcendant[6].
Tout cela était inévitable. L'idée d'unité ou d'identité sert de principe régulateur à notre savoir, et l'idée d'évolution constitue notre méthode la plus efficace pour justifier et vérifier ce critérium suprême. Car l'unité se pose tout d'abord en postulat, en hypothèse; mais peu à peu elle se transforme en vérité d'ordre expérimental et rationnel à la fois. Ces deux grandes idées devaient donc, forcément, traverser la même crise et subir la même altération.
[p.28] Plus haut, nous n'avons pas nié la réalité du mouvement intellectuel qui entra?na dans le sillage métaphysique le tron?on isolé des sciences dites supérieures. Mais nous n'y pouvons voir qu'une agitation factice et inféconde, et quelquefois même un recul, un véritable retour à l'ignorance des temps primitifs. En effet, un troisième élément formateur de la connaissance--ou déformateur, selon le point de vue--s'est toujours joint aux idées d'unité et d'évolution et a tenu, à leurs c?tés, une large place.
Le savoir qui méritait ce nom par son développement régulier, acceptait pour seul guide l'expérience. Il était conduit par les idées d'évolution et d'unité. Mais le savoir inchoatif et la métaphysique qui l'accueillait avec faveur en lui donnant le pas sur les branches constituées de la connaissance, admettaient encore un troisième principe: l'idée de l'au-delà, de l'universel mystère, fond intime des conceptions religieuses et de toute foi a priori. Ainsi [p.29] s'expliquent les nombreux essais qui prétendirent concilier l'infini, l'absolu, l'inconnaissable avec l'évolution et l'unité. Ces tentatives devaient demeurer vaines, logiquement parlant. Mais elles remplirent de leur bruit l'histoire de la philosophie, elles donnèrent naissance à une interminable suite de contrastes stériles, d'affirmations surabstraites accompagnées de leurs négations fictives, couples étranges qui tous dérivent, évidemment, de l'antinomie primordiale entre l'immanence (l'unité dévoilée par l'évolution des choses et des êtres) et la transcendance (l'en-dehors hyperphysique),--opposition quintessenciée entre l'expérience et sa négation pure, la non-expérience.
Or donc, d'où vient et comment s'infiltre dans le cerveau de l'homme, comment s'impose à la métaphysique en particulier, l'idée de transcendance, destructive de tout vrai savoir envisagé dans ses conclusions ultimes, et essentiellement limitative si l'on ne dépasse [p.30] pas les degrés intermédiaires, les généralisations inférieures de la connaissance?
A cette question nous répond?mes par deux fois: dans notre livre sur l'Inconnaissable et dans celui sur l'Agnosticisme. La genèse, les origines de cette idée éclairent son action inhibitoire sur la pensée. Elle est la survivance des ages lointains de l'humanité, le reliquat des fausses certitudes, des illogismes, des craintes superstitieuses des temps écoulés, le signe général évoquant l'ensemble des méthodes irrationnelles où se fourvoya l'esprit de recherche. Elle fut toujours et demeure encore, par conséquent, une négation directe de l'idée d'évolution.
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III [p.31]
Résumons brièvement la double analyse précédente.
Trois idées-forces,
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