d'une idée fixe.
Quand nous eûmes sonné, de Guaita lui-même vint nous ouvrir, une
lampe à la main. Les paroles de présentation et d'accueil échangées, il
nous fit entrer dans son cabinet de travail. Cette pièce était entièrement
tendue d'étoffe rouge au plafond comme aux murs. Une grande glace,
d'une limpidité parfaite, surmontait la cheminée. Au-dessus du bureau,
chargé de livres et de papiers, une belle gravure reproduisait le Saint
Jean-Baptiste de Vinci et son sourire énigmatique. Comme meubles,
quelques fauteuils moelleux et un large divan oriental qui régnait tout
le long d'une des parois.
Tout en causant, j'étudiais de Guaita. De taille moyenne, le corps
enveloppé d'une robe de chambre quelconque, il retenait l'attention par
trois particularités de sa physionomie. Encadré d'une barbe d'un blond
pâle qui se terminait en pointe, son visage était d'une pâleur
cadavérique: il semblait que le sang n'avait jamais rougi ses pommettes
terreuses. Sa bouche, mince comme une estafilade de sabre, offrait des
lèvres d'une coloration de violette délavée, presque mauve. Ses yeux,
bleu faïence, dardaient ces regards acérés dont Dubus m'avait parlé; ils
trouaient comme des vrilles. Je remarquai que les pupilles en étaient
extraordinairement dilatées.
La conversation, en cette première rencontre, fut d'abord assez banale.
Dubus se taisait presque tout le temps, mais il était nerveux et semblait
attendre quelque chose. Guaita, fort courtois d'ailleurs, se tenait sur la
réserve. Moi, je me sentais mal à l'aise et, détail qu'il faut retenir,
quoique la température fût très douce, j'avais froid, physiquement froid,
surtout aux mains, comme si je les avais tenues dans l'eau glacée.
Naturellement la littérature fut mise sur le tapis et de Guaita me
demanda si je travaillais à un livre en ce moment. Je lui dis que je
composais des poèmes d'amour. -- C'étaient ceux qui furent réunis
depuis sous le titre: Une belle Dame passa. J'étais alors très épris de la
personne qui les motiva -- sans, du reste, être payé de retour.
Peut-être parce que ce déboire m'affligeait fort et qu'il me soulageait de
l'exprimer -- ou pour toute autre cause -- ma gêne disparut soudain
pendant que je parlais de mes vers. Bien plus, quoique nos relations
toutes récentes n'autorisassent pas de confidences aussi personnelles,
j'analysai mon chagrin devant Guaita et j'ajoutai même que je n'espérais
guère attendrir la rebelle.
Pourquoi me livrais-je de la sorte? C'est que je ne sais quelle force me
poussait à lui dévoiler mes pensées les plus intimes. On eût dit qu'il les
tirait hors de moi, qu'il les dévidait, à la muette, comme le fil d'une
bobine.
-- Oh! dit-il très simplement, quand je me tus, assez ébahi de ma
confiance impromptue, il y aurait sans doute un moyen de vous faire
aimer d'elle.
-- Vraiment? m'écriai-je, mi-sceptique, mi-convaincu.
-- Nous en recauserons, car je pense que vous me ferez le plaisir de
renouveler cette visite.
Conquis par sa quasi-promesse d'aider l'amoureux en panne, j'allais
répondre par l'affirmative quand Dubus se levant, tout d'une pièce,
demanda à passer dans la chambre à côté.
-- Allez, cher ami, dit Guaita, vous trouverez sur la table tout de qu'il
vous faut.
Il ne bougea pas de son fauteuil. À peine s'il esquissa un geste pour
accompagner sa phrase. Mais un léger sourire, où je crus démêler une
nuance de triomphe, voltigea sur ses lèvres.
Par politesse et voyant son calme, je n'osai poser de question.
Cependant mon malaise revint et s'accrut encore quand Dubus rentra,
les yeux embrasés de cette même flamme d'orgueil qu'ils irradiaient
naguère, place de la Sorbonne.
Guaita ne parut pas s'en apercevoir. Mais moi je n'y pus tenir. Un
trouble grandissant m'envahissait. Sous un vague prétexte de
rendez-vous ailleurs, je pris congé en quelques mots rapides, non sans
avoir acquiescé quand Guaita, ne témoignant aucune contrariété de ce
départ à peine correct, insista pour que nous nous revissions à bref
délai.
Je m'en allai par la ville, plein de réflexions confuses où prédominait
l'idée que l'occultiste servirait peut-être ma passion malheureuse.
C'est pourquoi ma seconde visite suivit bientôt. Guaita me reçut avec la
même courtoisie que la première fois. Mais il semblait avoir oublié
l'espèce d'engagement qu'il avait pris. Malgré mon impatience,
j'attendis pour le lui rappeler qu'un détour de la conversation nous y
amenât. Il en était bien loin: il me parlait d'un écrivain qui s'était
récemment converti au catholicisme après avoir longtemps publié des
livres où l'Église était étrangement méconnue. Pour qualifier cette
évolution, il employa des termes haineux, presque grossiers, ce qui me
surprit chez un homme d'ordinaire si mesuré. Ce fut violent au point
que je me sentis choqué, non tant par l'âcreté des sentiments exprimés
que par la vulgarité des mots qui les traduisaient.
De Guaita s'en aperçut et rompit tout de suite le propos. Il remarqua
que j'examinais, par contenance, une statuette d'Isis en
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