or qui scintillait
sur son bureau.
-- Avez-vous lu ce qui est écrit sur le piédestal? me demanda-t- il.
-- Non, répondis-je.
-- Eh bien, voyez.
Je me penchai sous la lampe et je lus: I.N.R.I.
-- Tiens, dis-je, c'est curieux... L'inscription placée, par ordre de Pilate,
au-dessus de la tête du Christ en croix. Je ne vois pas trop ce qu'elle fait
sous les pieds d'Isis.
-- Je vous l'expliquerai plus tard, reprit de Guaita, quand nous serons
plus liés (Il ne me l'expliqua pas; on verra pourquoi. Mais j'ai appris,
par la suite, et dans d'autres conditions de vie, le sens sacrilège du titre
de la Croix dominé par Isis. Le voici: Igne Natura Renovatur Integra.
Quant au commentaire gnostique, je ne le donnerai pas ici. A porta
inferi, erue nos, Domine!)
Je n'insistai pas, d'autant que je cherchais toujours un joint pour
aiguiller la conversation dans le sens qui m'intéressait. Je ne trouvais
pas. Alors je me décidai à entrer en matière sans autre préparation.
-- Si je vous ai bien compris, l'autre soir, dis-je, vous seriez à même de
me fournir des arguments pour convaincre la personne dont je vous ai
parlé?
Il eut son sourire ambigu: -- Mieux que des arguments, me répondit-il,
nous en causerons tout à l'heure... Mais si nous prenions d'abord un peu
de champagne?
Sans attendre ma réponse, il passa dans la pièce à côté et en revint
aussitôt avec deux coupes et une bouteille toute débouchée.
Cette particularité aurait dû me mettre en défiance, puisque, d'habitude,
on garde la champagne clos sous sa capsule dorée jusqu'au moment de
le verser. Mais j'étais si loin de soupçonner que Guaita pût avoir
préparé ce liquide pour m'entonner quelque drogue occulte!
Il remplit les coupes et, me saluant de la sienne, il la porta à ses lèvres.
Quoique n'aimant pas ce vin tapageur, que je ne sais plus qui appelait
«un coco épileptique», je l'imitai.
À peine avais-je avalé deux gorgées qu'un arrière-goût d'amande amère
m'emplit la bouche. Et, immédiatement, je me sentis tout étourdi. En
même temps je remarquai que Guaita, après avoir au plus effleuré sa
coupe, la posait sur le bureau. Je me hâtai d'en faire autant et je ne
touchai plus à la mienne.
Or, j'en avais bu assez: la drogue agissait. Je fus pris de vertige; des
flammes vertes me dansèrent devant les yeux; une sueur abondante
m'imprégna le front; tous mes membres s'engourdirent; il me sembla
que mon sang ralenti changeait son cours dans mes artères... Je ne
trouve pas d'autre expression pour expliquer ce qui s'opérait dans mes
organes. Mes jarrets fléchirent et je tombai sur un fauteuil en
murmurant: -- Je suis empoisonné!
-- Mais non, mais non, se hâta de dire de Guaita, la splendeur
approche... Dans une minute, vous serez tout à fait bien.
Malgré mon demi-évanouissement, je sentis qu'il s'était approché de
moi et qu'il me faisait des passes magnétiques sur la figure et sur le
coeur. Puis du pouce, il me raya le front d'un signe qui figurait le tau de
l'alphabet grec (C'est la marque de la Gnose et la contrepartie
blasphématoire de notre signe de la Croix).
Je revins à moi: le malaise physique était dissipé. Mais je me sentais
comme un voile sur l'esprit: ma volonté avait disparu. J'étais sur le
point de devenir une sorte d'automate docile à toutes les suggestions. Et
pourtant je ne sais quelle voix presque étouffée ne cessait de chuchoter
au-dedans de moi: -- Prends garde! Prends garde!
Guaita tira mon fauteuil contre le bureau et me mit sous les yeux un
album richement relié. Il l'ouvrit; je vis défiler une suite de planches,
d'une exécution d'art exquise, et qui représentaient... je ne veux pas dire
quoi.
Pour les érudits, je les comparerai aux priapées du musée secret de
Naples.
De Guaita les commentait d'une voix stridente et mêlait parfois des
saillies blasphématoires à sa glose.
Mais voici que, loin de me stimuler, ces ordures élégantes me causaient
de la répulsion. Je ne pouvais pas la formuler, car j'étais plongé dans
une sorte d'hébétude. Puis cette sensation de froid intense, ressentie
déjà lors de ma première visite, m'éprouva de nouveau. Je grelottais
comme si j'étais dans un bain de glace...
-- Je gèle, je gèle, m'écriai-je, en repoussant l'album.
Guaita laissa échapper une exclamation d'impatience. Cet incident
parut le déconcerter: on aurait dit qu'il s'attendait à un résultat très
différent.
-- Couchez-vous un quart d'heure, me dit-il d'une voix brève.
Il m'étendit sur le divan, me glissa un coussin sous la tête, jeta une
fourrure sur mon corps et m'en enveloppa soigneusement. Je me
laissais faire comme un enfant; j'étais incapable de vouloir et presque
de penser.
L'occultiste s'assit à son bureau et se mit à écrire, ne s'interrompant, de
temps à autre, que pour me
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