servir, pour
attester les bienfaits de son Église sans trop de défaillances et malgré
les déboires de toutes sortes qui assaillent l'orateur et l'écrivain dès
qu'ils se vouent à l'apologie de la Vérité unique.
Après, je reviendrai panser mes blessures et louer la Dame de Bon-
Conseil sous vos ombrages, beaux arbres, dont les frondaisons
s'épanouissent dans la lumière et figurent les gestes d'espérance d'une
âme qui cherche à conquérir son salut éternel...
Fontainebleau, septembre 1912.
CHAPITRE PREMIER AU PAYS DES LYS NOIRS
Il y a quelque vingt ans, une brise chargée d'occultisme souffla sur la
littérature. C'était l'époque où les symbolistes inauguraient une réaction
contre le matérialisme pesant dont Zola, ses émules et ses disciples
pavaient leurs livres et leurs manifestes. Chez eux l'on ne parlait que de
documents humains et de tranches de vie. On niait l'âme, on bafouait
tout spiritualisme. On définissait l'homme: une fédération de cellules
agglomérées par le hasard, mue exclusivement par ses instincts et ses
appétits, secouée par des névroses, courbée sous les lois implacables
d'un déterminisme sans commencement ni fin. Flottant sur le tout, un
noir pessimisme qui disait volontiers: -- La vie est une souffrance entre
deux néants.
Sous couleur d'études de moeurs, qu'il s'agit de peindre la bourgeoisie
ou le monde des arts, les ouvriers ou les paysans, on n'alignait que des
spécimens de tératologie sociale: des pourceaux et des ivrognes, des
souteneurs et des aigrefins, des demi-fous sanguinaires et des bandits,
des femmes détraquées ou mollement stupides, des prêtres
sentimentaux et sacrilèges. Bref, un Guignol sinistre où se démenaient
des marionnettes impulsives dont la Nature aveugle tirait les ficelles, en
des décors de villes et de campagnes barbouillés d'un balai fangeux.
Puis, quelles interminables descriptions! Et quels inventaires de
marchands de bric-à-brac de qui le cerveau se fêla pour avoir absorbé
trop de manuels de vulgarisation scientifique!
Pour tirer l'art de ce cloaque, maints poètes firent de loyaux efforts. Ils
se proclamèrent idéalistes, affirmèrent l'âme et ses tendances à une
beauté supérieure. Ils opposèrent, en leurs strophes, des tableaux de
légende stylisés aux photographies malpropres du naturalisme.
Malheureusement, ils tombèrent dans l'excès contraire. Tout sens du
réel se perdit; ce ne furent plus que chevaliers mystérieux pourfendant
des licornes et des guivres dans des paysages irréels, princesses
hiératiques, psalmodiant des énigmes du haut d'une tour ou promenant,
avec langueur, des troubles mélancolies dans des parcs aux floraisons
de chimère. Les paons et les cygnes, promus au rang d'animaux
distingués, pullulèrent dans les poèmes. Il se fit une effrayante
consommation du mot songe et du mot mystère.
Ce moyen âge de pacotille n'aurait pas tiré beaucoup à conséquence:
c'était une mode littéraire comme il y en eut tant d'autres, en faveur
aujourd'hui, oubliée demain. Mais le mouvement ne tarda pas à dévier
d'une façon plus grave.
Les théories anarchistes, préconisant l'individualisme à outrance, firent
invasion dans la littérature. Elles se mêlèrent à la religiosité vague, qui
sollicitait un grand nombre d'esprits pour produire les plus singuliers
résultats. On s'écria d'abord: -- plus de règles astreignantes, plus de
prosodie traditionnelle entravant l'inspiration; que chacun se forge son
instrument d'après le génie latent qui bouillonne en lui.
On ajouta bientôt: -- plus de lois, plus de soumission aux préjugés
sociaux; que le Moi s'affirme sans limites, que le culte de la Beauté soit
notre seul objectif, et nous deviendrons pareils à des dieux!
En même temps, on se déclarait catholique -- mais d'un catholicisme
spécial qui dédaignait, comme vulgaires, les préceptes de l'Évangile, la
fréquentation des sacrements et la pratique des vertus chrétiennes. On
rechercha dans les cérémonies du culte des émotions d'ordre purement
esthétique. On frelata de sensualité morbide la prière et les rites. Tel qui
mit en vers les litanies de la Vierge offrit, quelques pages plus loin, des
stances luxurieuses à l'Anadyomène. Tel autre écrivit, de la même
encre, le panégyrique de saint François d'Assises et celui de Ravachol.
Une Bradamante du socialisme publia de soi-disant «pages mystiques»
où Jésus était exalté comme le précurseur de ces Slavo- Mongols
délirants: Bakounine et Tolstoï. M. Joséphin Péladan fonda la
Rose-Croix esthétique et poursuivit la création d'un ordre de Mages qui
devaient prendre place, dans la hiérarchie de l'Église, au-dessus du
clergé. Les prêtres ne seraient plus que des fonctionnaires préposés à la
distribution des sacrements. Les Mages promulgueraient, pour les
initiés, les sens ésotérique, et supérieur selon la Gnose, des
enseignements de l'Église.
Plus tard, à la suite des mésaventures qui ne nous regardent pas, M.
Péladan écrivit au Pape pour le sommer, au nom du Beauséant, de
sanctionner le divorce. Rome ne répondit pas -- comme on pouvait s'y
attendre. Et le Sâr-Mage sortit de l'Église en faisant claquer la porte.
Chez les catholiques quelques-uns espéraient que, peut-être, un
renouveau religieux naîtrait de ces divagations variées. Il n'en fut rien.
Seulement, une
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