Au pays des lys noirs | Page 8

Adolphe Retté
quelconque, il retenait l'attention par trois particularit��s de sa physionomie. Encadr�� d'une barbe d'un blond pale qui se terminait en pointe, son visage ��tait d'une paleur cadav��rique: il semblait que le sang n'avait jamais rougi ses pommettes terreuses. Sa bouche, mince comme une estafilade de sabre, offrait des l��vres d'une coloration de violette d��lav��e, presque mauve. Ses yeux, bleu fa?ence, dardaient ces regards ac��r��s dont Dubus m'avait parl��; ils trouaient comme des vrilles. Je remarquai que les pupilles en ��taient extraordinairement dilat��es.
La conversation, en cette premi��re rencontre, fut d'abord assez banale. Dubus se taisait presque tout le temps, mais il ��tait nerveux et semblait attendre quelque chose. Guaita, fort courtois d'ailleurs, se tenait sur la r��serve. Moi, je me sentais mal �� l'aise et, d��tail qu'il faut retenir, quoique la temp��rature f?t tr��s douce, j'avais froid, physiquement froid, surtout aux mains, comme si je les avais tenues dans l'eau glac��e.
Naturellement la litt��rature fut mise sur le tapis et de Guaita me demanda si je travaillais �� un livre en ce moment. Je lui dis que je composais des po��mes d'amour. -- C'��taient ceux qui furent r��unis depuis sous le titre: Une belle Dame passa. J'��tais alors tr��s ��pris de la personne qui les motiva -- sans, du reste, ��tre pay�� de retour.
Peut-��tre parce que ce d��boire m'affligeait fort et qu'il me soulageait de l'exprimer -- ou pour toute autre cause -- ma g��ne disparut soudain pendant que je parlais de mes vers. Bien plus, quoique nos relations toutes r��centes n'autorisassent pas de confidences aussi personnelles, j'analysai mon chagrin devant Guaita et j'ajoutai m��me que je n'esp��rais gu��re attendrir la rebelle.
Pourquoi me livrais-je de la sorte? C'est que je ne sais quelle force me poussait �� lui d��voiler mes pens��es les plus intimes. On e?t dit qu'il les tirait hors de moi, qu'il les d��vidait, �� la muette, comme le fil d'une bobine.
-- Oh! dit-il tr��s simplement, quand je me tus, assez ��bahi de ma confiance impromptue, il y aurait sans doute un moyen de vous faire aimer d'elle.
-- Vraiment? m'��criai-je, mi-sceptique, mi-convaincu.
-- Nous en recauserons, car je pense que vous me ferez le plaisir de renouveler cette visite.
Conquis par sa quasi-promesse d'aider l'amoureux en panne, j'allais r��pondre par l'affirmative quand Dubus se levant, tout d'une pi��ce, demanda �� passer dans la chambre �� c?t��.
-- Allez, cher ami, dit Guaita, vous trouverez sur la table tout de qu'il vous faut.
Il ne bougea pas de son fauteuil. �� peine s'il esquissa un geste pour accompagner sa phrase. Mais un l��ger sourire, o�� je crus d��m��ler une nuance de triomphe, voltigea sur ses l��vres.
Par politesse et voyant son calme, je n'osai poser de question. Cependant mon malaise revint et s'accrut encore quand Dubus rentra, les yeux embras��s de cette m��me flamme d'orgueil qu'ils irradiaient nagu��re, place de la Sorbonne.
Guaita ne parut pas s'en apercevoir. Mais moi je n'y pus tenir. Un trouble grandissant m'envahissait. Sous un vague pr��texte de rendez-vous ailleurs, je pris cong�� en quelques mots rapides, non sans avoir acquiesc�� quand Guaita, ne t��moignant aucune contrari��t�� de ce d��part �� peine correct, insista pour que nous nous revissions �� bref d��lai.
Je m'en allai par la ville, plein de r��flexions confuses o�� pr��dominait l'id��e que l'occultiste servirait peut-��tre ma passion malheureuse.
C'est pourquoi ma seconde visite suivit bient?t. Guaita me re?ut avec la m��me courtoisie que la premi��re fois. Mais il semblait avoir oubli�� l'esp��ce d'engagement qu'il avait pris. Malgr�� mon impatience, j'attendis pour le lui rappeler qu'un d��tour de la conversation nous y amenat. Il en ��tait bien loin: il me parlait d'un ��crivain qui s'��tait r��cemment converti au catholicisme apr��s avoir longtemps publi�� des livres o�� l'��glise ��tait ��trangement m��connue. Pour qualifier cette ��volution, il employa des termes haineux, presque grossiers, ce qui me surprit chez un homme d'ordinaire si mesur��. Ce fut violent au point que je me sentis choqu��, non tant par l'acret�� des sentiments exprim��s que par la vulgarit�� des mots qui les traduisaient.
De Guaita s'en aper?ut et rompit tout de suite le propos. Il remarqua que j'examinais, par contenance, une statuette d'Isis en or qui scintillait sur son bureau.
-- Avez-vous lu ce qui est ��crit sur le pi��destal? me demanda-t- il.
-- Non, r��pondis-je.
-- Eh bien, voyez.
Je me penchai sous la lampe et je lus: I.N.R.I.
-- Tiens, dis-je, c'est curieux... L'inscription plac��e, par ordre de Pilate, au-dessus de la t��te du Christ en croix. Je ne vois pas trop ce qu'elle fait sous les pieds d'Isis.
-- Je vous l'expliquerai plus tard, reprit de Guaita, quand nous serons plus li��s (Il ne me l'expliqua pas; on verra pourquoi. Mais j'ai appris, par la suite, et dans d'autres conditions de vie, le sens sacril��ge du titre de la Croix domin�� par Isis. Le voici: Igne Natura Renovatur Integra. Quant au commentaire gnostique, je ne le donnerai pas ici. A porta
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