Au pays des lys noirs | Page 9

Adolphe Retté
inferi, erue nos, Domine!)
Je n'insistai pas, d'autant que je cherchais toujours un joint pour aiguiller la conversation dans le sens qui m'int��ressait. Je ne trouvais pas. Alors je me d��cidai �� entrer en mati��re sans autre pr��paration.
-- Si je vous ai bien compris, l'autre soir, dis-je, vous seriez �� m��me de me fournir des arguments pour convaincre la personne dont je vous ai parl��?
Il eut son sourire ambigu: -- Mieux que des arguments, me r��pondit-il, nous en causerons tout �� l'heure... Mais si nous prenions d'abord un peu de champagne?
Sans attendre ma r��ponse, il passa dans la pi��ce �� c?t�� et en revint aussit?t avec deux coupes et une bouteille toute d��bouch��e.
Cette particularit�� aurait d? me mettre en d��fiance, puisque, d'habitude, on garde la champagne clos sous sa capsule dor��e jusqu'au moment de le verser. Mais j'��tais si loin de soup?onner que Guaita p?t avoir pr��par�� ce liquide pour m'entonner quelque drogue occulte!
Il remplit les coupes et, me saluant de la sienne, il la porta �� ses l��vres.
Quoique n'aimant pas ce vin tapageur, que je ne sais plus qui appelait ?un coco ��pileptique?, je l'imitai.
�� peine avais-je aval�� deux gorg��es qu'un arri��re-go?t d'amande am��re m'emplit la bouche. Et, imm��diatement, je me sentis tout ��tourdi. En m��me temps je remarquai que Guaita, apr��s avoir au plus effleur�� sa coupe, la posait sur le bureau. Je me hatai d'en faire autant et je ne touchai plus �� la mienne.
Or, j'en avais bu assez: la drogue agissait. Je fus pris de vertige; des flammes vertes me dans��rent devant les yeux; une sueur abondante m'impr��gna le front; tous mes membres s'engourdirent; il me sembla que mon sang ralenti changeait son cours dans mes art��res... Je ne trouve pas d'autre expression pour expliquer ce qui s'op��rait dans mes organes. Mes jarrets fl��chirent et je tombai sur un fauteuil en murmurant: -- Je suis empoisonn��!
-- Mais non, mais non, se hata de dire de Guaita, la splendeur approche... Dans une minute, vous serez tout �� fait bien.
Malgr�� mon demi-��vanouissement, je sentis qu'il s'��tait approch�� de moi et qu'il me faisait des passes magn��tiques sur la figure et sur le coeur. Puis du pouce, il me raya le front d'un signe qui figurait le tau de l'alphabet grec (C'est la marque de la Gnose et la contrepartie blasph��matoire de notre signe de la Croix).
Je revins �� moi: le malaise physique ��tait dissip��. Mais je me sentais comme un voile sur l'esprit: ma volont�� avait disparu. J'��tais sur le point de devenir une sorte d'automate docile �� toutes les suggestions. Et pourtant je ne sais quelle voix presque ��touff��e ne cessait de chuchoter au-dedans de moi: -- Prends garde! Prends garde!
Guaita tira mon fauteuil contre le bureau et me mit sous les yeux un album richement reli��. Il l'ouvrit; je vis d��filer une suite de planches, d'une ex��cution d'art exquise, et qui repr��sentaient... je ne veux pas dire quoi.
Pour les ��rudits, je les comparerai aux priap��es du mus��e secret de Naples.
De Guaita les commentait d'une voix stridente et m��lait parfois des saillies blasph��matoires �� sa glose.
Mais voici que, loin de me stimuler, ces ordures ��l��gantes me causaient de la r��pulsion. Je ne pouvais pas la formuler, car j'��tais plong�� dans une sorte d'h��b��tude. Puis cette sensation de froid intense, ressentie d��j�� lors de ma premi��re visite, m'��prouva de nouveau. Je grelottais comme si j'��tais dans un bain de glace...
-- Je g��le, je g��le, m'��criai-je, en repoussant l'album.
Guaita laissa ��chapper une exclamation d'impatience. Cet incident parut le d��concerter: on aurait dit qu'il s'attendait �� un r��sultat tr��s diff��rent.
-- Couchez-vous un quart d'heure, me dit-il d'une voix br��ve.
Il m'��tendit sur le divan, me glissa un coussin sous la t��te, jeta une fourrure sur mon corps et m'en enveloppa soigneusement. Je me laissais faire comme un enfant; j'��tais incapable de vouloir et presque de penser.
L'occultiste s'assit �� son bureau et se mit �� ��crire, ne s'interrompant, de temps �� autre, que pour me lancer des regards plut?t malveillants.
Moi, je fus d'abord dans un ��tat vague. Mes id��es flottaient ��parses, se muaient en images confuses et difformes, comme il arrive dans certains cauchemars. Pourtant je ne dormais pas, et m��me le nuage de plomb qui s'��tait appesanti sur mon cerveau se dissipait peu �� peu. Bient?t mon intellect reprit son fonctionnement normal: je me sentis tout �� fait lucide. Seulement j'��tais bris�� de fatigue et je ne pouvais remuer ni bras ni jambes.
Enfin je ne me r��chauffais pas. Au contraire, la sensation de froid ne faisait que s'accro?tre et, tandis que je claquais des dents, je la sentis, pour ainsi dire, s'ext��rioriser. Ce fut comme si un brouillard d'hiver m'enveloppait...
Il m'enveloppait r��ellement, car je le vis soudain, comme une vapeur transparente et givreuse qui ondulait dans la chambre... Je prie qu'on me croie; je ne fais pas de litt��rature; je dresse un
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