Au bonheur des dames | Page 5

Emile Zola
d'habitude. Mais tu tombes l��, sans crier gare... C'est tr��s embarrassant.
Il haussait la voix, il se soulageait. Sa femme et sa fille restaient les regards �� terre, en personnes soumises qui ne se permettaient jamais d'intervenir. Cependant, tandis que Jean bl��missait, Denise avait serr�� contre sa poitrine P��p�� terrifi��. Elle laissa tomber deux grosses larmes.
-- C'est bien, mon oncle, r��p��ta-t-elle. Nous allons nous en aller.
Du coup, il se contint. Un silence embarrass�� r��gna. Puis, il reprit d'un ton bourru:
-- Je ne vous mets pas �� la porte... Puisque vous ��tes entr��s maintenant, vous coucherez toujours en haut, ce soir. Nous verrons apr��s.
Alors, Mme Baudu et Genevi��ve comprirent, sur un regard, qu'elles pouvaient arranger les choses. Tout fut r��gl��. Il n'y avait point �� s'occuper de Jean. Quant a P��p��, il serait �� merveille chez Mme Gras, une vieille dame qui habitait un grand rez-de-chauss��e, rue des Orties, o�� elle prenait en pension compl��te des enfants jeunes, moyennant quarante francs par mois. Denise d��clara qu'elle avait de quoi payer le premier mois. Il ne restait donc qu'�� la placer elle-m��me. On lui trouverait bien une place dans le quartier.
-- Est-ce que Vin?ard ne demandait pas une vendeuse? dit Genevi��ve.
-- Tiens! c'est vrai! cria Baudu. Nous irons le voir apr��s d��jeuner. Il faut battre le fer pendant qu'il est chaud.
Pas un client n'��tait venu d��ranger cette explication de famille. La boutique restait noire et vide. Au fond, les deux commis et la demoiselle continuaient leur besogne avec des paroles chuchot��es et sifflantes. Pourtant, trois dames se pr��sent��rent, Denise resta seule un instant. Elle baisa P��p��, le coeur gros, �� l'id��e de leur prochaine s��paration. L'enfant, calin comme un petit chat, cachait sa t��te, sans prononcer une parole. Quand Mme Baudu et Genevi��ve revinrent, elles le trouv��rent bien sage, et Denise assura qu'il ne faisait jamais plus de bruit: il restait muet les journ��es enti��res, vivant de caresses. Alors, jusqu'au d��jeuner, toutes trois parl��rent des enfants, du m��nage, de la vie �� Paris et en province, par phrases courtes et vagues, en parentes un peu embarrass��es de ne pas se conna?tre. Jean ��tait all�� sur le seuil de la boutique et n'en bougeait plus, int��ress�� par la vie des trottoirs, souriant aux jolies filles qui passaient.
�� dix heures, une bonne parut. D'ordinaire, la table ��tait servie pour Baudu, Genevi��ve et le premier commis. Il y avait une seconde table �� onze heures pour Mme Baudu, l'autre commis et la demoiselle.
-- �� la soupe! cria le drapier, en se tournant vers sa ni��ce.
Et, comme tous ��taient assis d��j�� dans l'��troite salle �� manger, derri��re la boutique, il appela le premier commis qui s'attardait.
-- Colomban!
Le jeune homme s'excusa, ayant voulu finir de ranger les flanelles. C'��tait un gros gar?on de vingt-cinq ans, lourd et madr��. Sa face honn��te, �� la grande bouche molle, avait des yeux de ruse.
-- Que diable! il y a temps pour tout; disait Baudu, qui, install�� carr��ment, d��coupait un morceau de veau froid, avec une prudence et une adresse de patron, pesant les minces parts du coup d'oeil, �� un gramme pr��s.
Il servit tout le monde, coupa m��me le pain. Denise avait pris P��p�� aupr��s d'elle, pour le faire manger proprement. Mais la salle obscure l'inqui��tait; elle la regardait, elle se sentait le coeur serr��, elle qui ��tait habitu��e aux larges pi��ces, nues et claires, de sa province. Une seule fen��tre ouvrait sur une petite cour int��rieure, communiquant avec la rue par l'all��e noire de la maison; et cette cour, tremp��e, empest��e, ��tait comme un fond de puits, o�� tombait un rond de clart�� louche. Les jours d'hiver, on devait allumer le gaz du matin au soir. Lorsque le temps permettait de ne pas allumer, c'��tait plus triste encore. Il fallut un instant �� Denise, pour accoutumer ses yeux et distinguer suffisamment les morceaux sur son assiette.
-- Voil�� un gaillard qui a bon app��tit, d��clara Baudu en constatant que Jean avait achev�� son veau. S'il travaille autant qu'il mange, ?a fera un rude homme... Mais toi, ma fille, tu ne manges pas? ... Et dis-moi, maintenant qu'on peut causer, pourquoi ne t'es-tu pas mari��e, �� Valognes?
Denise lacha son verre qu'elle portait �� sa bouche.
-- Oh! mon oncle, me marier! vous n'y pensez pas!... Et les petits?
Elle finit par rire, tant l'id��e lui semblait baroque. D'ailleurs, est-ce qu'un homme aurait voulu d'elle, sans un sou, pas plus grosse qu'un mauviette, et pas belle encore? Non, non, jamais elle ne se marierait, elle avait assez de deux enfants.
-- Tu as tort, r��p��tait l'oncle, une femme a toujours besoin d'un homme. Si tu avais trouv�� un brave gar?on, vous ne seriez pas tomb��s sur le pav�� de Paris, toi et tes fr��res, comme des boh��miens.
Il s'interrompit, pour partager de nouveau, avec une parcimonie pleine de justice, un plat de pommes de terre au lard,
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 187
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.