Au bonheur des dames | Page 4

Emile Zola
parler de ses fr��res, il la tutoya.
-- Ton p��re ne vous a donc rien laiss��? Moi, je croyais qu'il y avait encore quelques sous. Ah! je lui ai assez conseill��, dans mes lettres, de ne pas prendre cette teinturerie! Un brave coeur, mais pas deux liards de t��te!... Et tu es rest��e avec ces gaillards sur les bras, tu as d? nourrir ce petit monde!
Sa face bilieuse s'��tait ��clair��e, il n'avait plus les yeux saignants dont il regardait le Bonheur des Dames. Brusquement, il s'aper?ut qu'il barrait la porte.
-- Allons, dit-il, entrez, puisque vous ��tes venus... Entrez, ?a vaudra mieux que de baguenauder devant des b��tises.
Et, apr��s avoir adress�� aux ��talages d'en face une derni��re moue de col��re, il livra passage aux enfants, il p��n��tra le premier dans la boutique, en appelant sa femme et sa fille.
-- ��lisabeth, Genevi��ve, arrivez donc, voici du monde pour vous!
Mais Denise et les petits eurent une h��sitation devant les t��n��bres de la boutique. Aveugl��s par le plein jour de la rue, ils battaient des paupi��res comme au seuil d'un trou inconnu, tatant le sol du pied, ayant la peur instinctive de quelque marche tra?tresse. Et, rapproch��s encore par cette crainte vague, se serrant davantage les uns contre les autres le gamin, toujours dans les jupes de la jeune fille et le grand derri��re, ils faisaient leur entr��e avec une grace souriante et inqui��te. La clart�� matinale d��coupait la noire silhouette de leurs v��tements de deuil, un jour oblique dorait leurs cheveux blonds.
-- Entrez, entrez, r��p��tait Baudu.
En quelques phrases br��ves, il mettait au courant Mme Baudu et sa fille. La premi��re ��tait une petite femme mang��e d'an��mie, toute blanche, les cheveux blancs, les yeux blancs, les l��vres blanches. Genevi��ve, chez qui s'aggravait encore la d��g��n��rescence de sa m��re, avait la d��bilit�� et la d��coloration d'une plante grandie �� l'ombre. Pourtant, des cheveux noirs magnifiques, ��pais et lourds, pouss��s comme par miracle dans cette chair pauvre, lui donnaient un charme triste.
-- Entrez, dirent �� leur tour les deux femmes. Vous ��tes les bienvenus.
Et elles firent asseoir Denise derri��re le comptoir. Aussit?t, P��p�� monta sur les genoux de sa soeur, tandis que Jean, adoss�� contre une boiserie, se tenait pr��s d'elle. Ils se rassuraient, regardaient la boutique, o�� leurs yeux s'habituaient �� l'obscurit��. Maintenant, ils la voyaient, avec son plafond bas et enfum��, ses comptoirs de ch��ne polis par l'usage, ses casiers s��culaires aux fortes ferrures. Des ballots de marchandises sombres montaient jusqu'aux solives. L'odeur des draps et des teintures, une odeur apre de chimie, semblait d��cupl��e par l'humidit�� du plancher. Au fond, deux commis et une demoiselle rangeaient des pi��ces de flanelle blanche.
-- Peut-��tre ce petit monsieur-l�� prendrait-il volontiers quelque chose? dit Mme Baudu en souriant �� P��p��.
-- Non, merci, r��pondit Denise. Nous avons bu une tasse de lait dans un caf��, devant la gare.
Et, comme Genevi��ve regardait le l��ger paquet qu'elle avait pos�� par terre, elle ajouta:
-- J'ai laiss�� notre malle l��-bas.
Elle rougissait, elle comprenait qu'on ne tombait pas de la sorte chez le monde. D��j��, dans le wagon, d��s que le train avait quitt�� Valognes, elle s'��tait sentie pleine de regret; et voil�� pourquoi, �� l'arriv��e, elle avait laiss�� la malle et fait d��jeuner les enfants.
-- Voyons, dit tout d'un coup Baudu, causons peu et causons bien... Je t'ai ��crit, c'est vrai, mais il y a un an; et, vois tu, ma pauvre fille, les affaires n'ont gu��re march��, depuis un an...
Il s'arr��ta, ��trangl�� par une ��motion qu'il ne voulait pas montrer. Mme Baudu et Genevi��ve, l'air r��sign��, avaient baiss�� les yeux.
-- Oh! continua-t-il, c'est une crise qui passera, je suis bien tranquille... Seulement, j'ai diminu�� mon personnel, il n'y a plus ici que trois personnes, et le moment n'est gu��re venu d'en engager une quatri��me. Enfin, je ne puis te prendre comme je te l'offrais, ma pauvre fille.
Denise l'��coutait, saisie, toute pale. Il insista, en ajoutant:
-- ?a ne vaudrait rien, ni pour toi, ni pour nous.
-- C'est bien, mon oncle, finit-elle par dire p��niblement. Je tacherai de m'en tirer tout de m��me.
Les Baudu n'��taient pas de mauvaises gens. Mais ils se plaignaient de n'avoir jamais eu de chance. Au temps o�� leur commerce marchait, ils avaient d? ��lever cinq gar?ons, dont trois ��taient morts �� vingt ans; le quatri��me avait mal tourn��, le cinqui��me venait de partir pour le Mexique, comme capitaine. Il ne leur restait que Genevi��ve. Cette famille avait co?t�� gros, et Baudu s'��tait achev��, en achetant �� Rambouillet, le pays du p��re de sa femme, une grande baraque de maison. Aussi toute une aigreur grandissait-elle, dans sa loyaut�� maniaque de vieux commer?ant.
-- On pr��vient, reprit-il en se fachant peu �� peu de sa propre duret��. Tu pouvais m'��crire, je t'aurais r��pondu de rester l�� bas... Quand j'ai appris la mort de ton p��re, parbleu! je t'ai dit ce qu'on dit
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