Angéline de Montbrun | Page 8

Laure Conan
«M'expliquerez-vous ceci?»
Après le souper, il désira voir Friby,--Friby, c'est un joli écureuil
parfaitement apprivoisé, qui ouvre lui-même la porte de sa cage. M. le
curé assure qu'un marguillier en charge n'ouvre pas mieux la porte du
banc d' oeuvre.
Angéline, qui a coutume de s'amuser tant des gentillesses de l'écureuil,

se contenta de lui jeter quelques noix d'une main distraite. Elle se tenait
silencieuse à l'écart. Son père l'observait sans qu'il y parut, et me jetait
de temps à autre un regard qui disait, si je ne me trompe: «Que le diable
vous emporte avec vos extravagances. Comment avez-vous osé troubler
cette enfant?»
Mina, ma contrition avait disparu comme la neige au soleil du moins
s'il m'en restait, ce n'était pas sensible. Tu le sais
Ses paupières, jamais sur ses beaux yeux baissées, Ne voilaient son
regard...
Maintenant elle n'ose plus me regarder; et te dire ce que j'éprouve en la
voyant troublée et rougissante devant moi! Oui, elle m'aimera!
Entends-tu, Mina? Je te dis qu'elle m'aimera!
Ma petite soeur, je te chéris, mais je n'ai pas le temps de te l'écrire. Je
m'en vais finir la soirée sur la mousse, à l'endroit où je lui ai dit: «Je
vous aime.»
Maurice.

(Mina Darville à son frère)
Je te le disais bien que tu finirais par faire une folie. Mais au fond tu me
parais plus à envier qu'à blâmer. Le premier moment passé, M. de
Montbrun doit avoir compris que la faim, l'occasion, l'herbe tendre...
D'ailleurs Angéline t'a interrogé. Je ne puis penser sans rire à cette
naïveté. J'ai hâte d'en pouvoir parler à M. de Montbrun pour lui dire:
«Voyez l'inconvénient de ne jamais lire de romans, et de n'avoir pour
amie intime qu'une personne aussi sage que moi!»
Ainsi, Maurice, tu t'es mis à genoux. Il est vrai que c'était sur la mousse;
n'importe, je sais que ces belles choses ne m'arriveront jamais. On me
glisse assez volontiers les doux propos mais je n'ai pas le charme
souverain qui enlève l'esprit, et l'on ne songe pas du tout à se
prosterner.

Cela n'empêche pas que je ne sois contente qu'Angéline ait appris à
baisser les yeux--ces beaux yeux dont je n'ai jamais pu dire au juste la
couleur--mais pardon, c'est à toi de les décrire.
Je t'avouerai que cette histoire de l'étang m'a donné une belle peur. De
grâce, qu'allais-tu faire là? Je n'ai pas coutume de critiquer le soleil,
mais en pareille circonstance, jeter des gerbes de feu autour d'Angéline,
c'était bien imprudent. Au fait, peut-être en as-tu vu plus qu'il n'y en
avait. N'importe, tu as bien fait de fermer les yeux.
Tu dis qu'elle t'aimera. Je l'espère, mon cher, et peut-être t'aimerait-elle
déjà si elle aimait moins son père. Cette ardente tendresse l'absorbe.
Quant à M. de Montbrun, je l'ai toujours cru favorablement disposé. Si
tu ne lui convenais pas ou a peu près, il t'aurait tenu à distance comme
il l'a fait pour tant d'autres.
Je t'approuve fort de lui avoir confessé ton équipée. D'abord la
franchise est une belle chose, et ensuite Angéline, qui ne cache jamais
rien à son père, n'aurait pas manqué de tout lui dire à la première
occasion, ce qui n'eût rien valu.
Penses-en ce qu'il te plaira, mais si elle est émue, comme tu le crois, je
voudrais savoir ce qu'il lui a dit. Cet homme-là a un tact, une
délicatesse adorable. Il a du paysan, de l'artiste, surtout du militaire
dans sa nature, mais il a aussi quelque chose de la finesse du diplomate
et de la tendresse de la femme. Le tout fait un ensemble assez rare.
Quel ami tu auras là! et sa fille!...
Crois-moi, le jour que tu seras accepté, mets-toi à genoux pour
remercier Dieu. Je connais beaucoup de jeunes filles, mais entre elles et
Angéline il n'y a pas de comparaison possible. Ce qu'elle vaut, je le sais
mieux que toi. Son éclatante beauté éblouit trop tes pauvres yeux. Tu
ne vois pas la beauté de son âme, et pourtant c'est celle-là qu'il faut
aimer.
À propos, tu sauras que mon révérend admirateur a daigné écrire dans
mon album. Ça finit ainsi:

Calm and holy, Thou sittest by the fireside of the heart, Feeding its
flames.
Mais il est inutile de chercher à t'ouvrir les yeux sur mes glorieuses
destinées. Quel dommage que l'étang soit si loin, je l'engagerais à y
aller méditer ses sermons, et ne va pas croire que j'irais jeter du pain au
cygne. Non, mon cher, la belle nature le laisse froid, mais il a ou veut
avoir le culte de l'antiquité, et j'irais laver mes robes dans l'étang,
comme la belle Nausica.
Faut-il dire que je m'ennuie? que tu me manques? En y réfléchissant, je
me suis convaincue que, malgré tes nerfs de vieille duchesse, tu as
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