mon cygne.
Et comme tu penses, je la suivis. Comment refuser?
Tu sais peut-être qu'un ruisseau coule dans le jardin, très vaste et très
beau. M. de Montbrun en a profité pour se donner le luxe d'un petit
étang qui est bien ce qu'on peut voir de plus joli. Des noyers
magnifiques ombragent ces belles eaux, et les fleurs sauvages croissent
partout sur les bords et dans la mousse épaisse qui s'étend tout autour
de l'étang. C'est charmant, c'est délicieux, et le cygne pense de même
car il affectionne cet endroit.
Angéline nu-tête, un gros morceau de pain à la main, marchait devant
moi. De temps en temps, elle se retournait pour m'adresser quelques
mots badins. Mais arrivée à l'étang, elle m'oublia.
Son attention était partagée entre les oiseaux qui chantaient dans les
arbres, et le cygne qui se berçait mollement sur les eaux. Mais le cygne
finit par l'absorber. Elle lui jetait des miettes de pain, en lui faisant
mille agaceries dont il est impossible de dire le charme et la grâce; et
l'oiseau semblait prendre plaisir à se faire admirer. Il se mirait dans
l'eau, y plongeait son beau cou, et longeait fièrement les bords fleuris
de ce lac en miniature où se reflétait le soleil couchant.
--Est-il beau! est-il beau! disait Angéline enthousiasmée. Ah! si Mina
le voyait!...
Elle me tendit les dernières miettes de son pain, pour me les lui faire
jeter. Les rayons brûlants du soleil glissant à travers le feuillage
tombaient autour d'elle en gerbes de feu. Je fermai les yeux. Je me
sentais devenir fou. Elle, remarquant mon trouble, me demanda
naïvement:
--Mais, monsieur Darville, qu'avez-vous donc?
Mina, toutes mes résolutions m'échappèrent. Je lui dis:
--Je vous aime! Et involontairement je fléchis le genou devant elle qui
tient le bonheur et la vie, dans sa chaste main.
Je n'avais pas été maître de penser à ce que je faisais. En la voyant
stupéfaite, interdite, la raison me revint, et je compris mon tort. Mais
avant que j'eusse pu trouver une parole, elle avait disparu.
Pour moi, une joie ardente éclatait dans mon coeur, et je restais là à me
répéter: «Elle sait, elle sait que je l'aime.»
J'avais complètement oublié que son père m'attendait, et j'en fus bien
mortifié quand on vint me le rappeler. Cette fois, je me rendis sans
encombre. Il m'invita d'un geste à m'asseoir près de lui.
--Eh! bien, me dit-il en roulant ma lettre entre ses doigts, voilà donc
l'explication des sottises que vous nous contez depuis quelque temps.
Je ne répondis rien, et comme il restait silencieux, je pris sa main et lui
dis que j'en perdrais la tête ou que j'en mourrais.
--Mettons que vous auriez une terrible migraine, me répondit-il.
Le plus difficile était fait. Je lui parlai sans contrainte en toute
confiance. Je lui dis bien des choses, et il me semble que je ne parlai
pas mal. Il avait l'air tout près d'être ému, et tu l'aurais trouvé
parfaitement charmant; mais je n'en pus tirer d'autres réponses que: «J'y
songerai.» D'ailleurs, ajouta-t-il, rien ne presse. Vous êtes bien jeune.
Je lui dis:
--J'ai vingt-et-un ans.
--Angéline en a dix-huit, reprit-il, mais c'est une enfant, et je désire
beaucoup qu'elle reste enfant aussi longtemps que possible.
Cela me rappela que j'avais abusé de son hospitalité et je me sentis
rougir. Il s'en aperçut, et me dit très doucement:
--Si vous voyez dans mes paroles une leçon indirecte, vous vous
trompez. Je crois à votre délicatesse.
Ces mots m'humilièrent plus que n'importe quels reproches. Ma foi, je
n'y tins pas et malgré le risque terrible de baisser dans son estime, je lui
fis l'aveu de ma belle conduite.
--A-t-elle ri? me demanda-t-il.
La question me parut cruelle, et malgré tout je fus charmé de répondre
qu'elle n'avait point ri. Sa figure se rembrunit beaucoup, et il me dit très
froidement:
--Je regrette votre indiscrétion plus que vous ne sauriez croire.
J'étais à peu près aussi mal à l'aise qu'on peut l'être. On sonna le souper,
ce qui lui rappela sans doute que je suis son hôte, car il redevint
lui-même, et m'invita gracieusement à me rendre à table.
Nous y trouvâmes, avec les dames, un vieux prêtre, curé du voisinage,
qui, pendant le repas, nous raconta fort gentiment les travaux d'un
bouvreuil, en frais de se construire un nid dans un rosier de son jardin.
Évidemment ces aimables propos s'adressaient à Mlle de Montbrun,
mais pour cette fois, elle ne parut guère plus intéressée que Mme W...
aux histoires de son mari, quand elles durent plus de trois quarts
d'heure. Ce que voyant, le bon prêtre s'informa poliment du cygne. Elle
rougit divinement, et répondit je ne sais quoi que personne ne comprit.
M. l'abbé, tout perplexe, regardait M. de Montbrun avec un air qui
semblait dire:
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