de roman. Les chastes créations de Walter Scott, Alice, Rebecca,
Diana, Catherine, étaient venues souvent chanter dans les roseaux des choeurs délicieux
qu'interrompait parfois le gémissement douloureux et colère de la petite Fenella. Du sein
des nuages, les soupirs éloignés des vierges hébraïques de Byron répondaient à ces belles
voix de la terre, tandis que la grande et pâle Clarisse, assise sur la mousse, s'entretenait
gravement à l'écart avec Julie, et que Virginie enfant jouait avec les brins d'herbe du
rivage. Quelquefois un choeur de bacchantes traversait l'air et emportait ironiquement les
douces mélodies. André, pâle et tremblant, les voyait passer, fantasques, méchantes et
belles, écrasant sans pitié les fleurs du rivage sous leurs pieds nus, effarouchant les
tranquilles oiseaux endormis dans les saules, et trempant leurs couronnes de pampres
dans les eaux pour les secouer moqueusement à la figure du jeune rêveur. André
s'éveillait de sa vision triste et découragé. Il se reprochait de les avoir trouvées belles et
d'avoir eu envie un instant de suivre leur trace, semée de fleurs et de débris. Il évoquait
alors ses divins fantômes, ses types chéris de sentiment et de pureté. Il les voyait
redescendre vers lui dans leurs longues robes blanches et lui montrer au fond de l'onde
une image fugitive qu'il s'efforçait en vain d'attirer et de saisir.
Cette ombre mystérieuse et vague qu'il voyait flotter partout, c'était son amante inconnue,
c'était son bonheur futur; mais toutes les réalités différaient tellement de sa beauté idéale,
qu'il désespérait souvent de la rencontrer sur la terre, et se mettait à pleurer en murmurant,
dans son angoisse, des paroles incohérentes. Son père le crut fou bien des fois, et faillit
envoyer chercher le médecin pour l'avoir entendu crier au milieu de la nuit:--Où es-tu?
es-tu née seulement? ne suis-je pas venu trop tôt ou trop tard pour te rencontrer sur la
terre? Et vingt autres folies que le bonhomme traita de billevesées des qu'il se fut bien
assuré que son fils n'avait pas attrapé de coup de soleil dans la journée.
Un soir que le jeune homme s'était attardé dans les Prés-Girault, c'était le nom de sa chère
retraite, il lui sembla voir passer à quelque distance une forme réelle; autant qu'il put la
distinguer, c'était une taille déliée avec une robe blanche. Elle semblait voltiger sur la
pointe des joncs, tant elle courait légèrement! Cette vision ne dura qu'un instant et
disparut derrière un massif de trembles. André s'était arrêté stupéfait, et son coeur battait
si fort qu'il lui eût été impossible de faire un pas pour la suivre. Quand il en eut retrouvé
la force, il s'aperçut que la rivière, qui coulait à fleur de terre et formait cent détours dans
la prairie, le séparait du massif. Il lui fallut faire beaucoup de chemin pour rencontrer un
de ces petits ponts que les gardeurs de troupeaux construisent eux-mêmes avec des
branches entrelacées et de la terre; enfin il atteignit le massif et n'y trouva personne.
L'ombre était devenue si épaisse qu'il était impossible de voir à dix pas devant soi. Il
revint, tout pensif et tout ému, s'asseoir devant le souper de son père; mais il dormit
moins encore que de coutume, et retourna aux Prés-Girault le lendemain. Rien n'en
troublait la solitude, et il craignit d'être devenu assez fou pour qu'une de ses fictions
ordinaires lui fût apparue comme une chose réelle.
[Illustration: La maîtresse ouvrière, placée sur une chaise plus élevée que les autres....]
Le jour suivant, à force d'explorer les bords de la rivière, il trouva un petit gant de fil
blanc très fin, tricoté à l'aiguille avec des points à jour très artistement travaillés, et qui
semblait avoir servi à arracher des herbes, car il était taché de vert.
André le prit, le baisa mille fois comme un fou, l'emporta sur son coeur et en devint
amoureux, sans songer que le prince Charmant, épris d'une pantoufle, n'était pas un
rêveur beaucoup plus ridicule que lui.
Huit jours s'étaient passés sans qu'il trouvât aucune autre trace de cette apparition. Un
matin il arriva lentement, comme un homme qui n'espère plus, et, s'appuyant contre un
arbre, il se mit à lire un sonnet de Pétrarque.
Tout à coup une petite voix fraîche sortit des roseaux et chanta deux vers d'une vieille
romance:
Puis, tout après, je vis dame d'amour Qui marchait doux et venait sur la rive.
André tressaillit, et, se penchant, il vit à vingt pas de lui une jeune fille habillée de blanc,
avec un petit châle couleur arbre de Judée et un mince chapeau de paille. Elle était debout
et semblait absorbée dans la contemplation d'un bouquet de fleurs des champs qu'elle
avait à la main. André eut l'idée de s'élancer vers elle pour la mieux voir; mais elle vint de
son côté, et il se sentit
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