Andre | Page 8

George Sand
ignorer l'ignoble trafic que les femmes font ailleurs de leur beaut��; leur orgueil ��quivaut �� une vertu; jamais la cupidit�� ne les jette dans les bras des vieillards; elles aiment trop l'ind��pendance pour souffrir aucun partage, pour s'astreindre �� aucune pr��caution. Aussi les hommes mari��s ne r��ussissent jamais aupr��s d'elles. Il y a quelque chose de vraiment magnifique dans l'exercice insolent de leur despotisme f��minin. Elles sont aimantes et col��res, romanesques on ne peut plus, coquettes et d��daigneuses, avides de louanges, folles de plaisir, bavardes, gourmandes, impertinentes; mais d��sint��ress��es, g��n��reuses et franches. Leur ext��rieur r��pond assez �� ce caract��re: elles sont g��n��ralement grandes, robustes et alertes; elles ont de grandes bouches qui rient �� tout propos pour montrer des dents superbes; elles sont vermeilles et blanches, avec des cheveux bruns ou noirs. Leurs pieds sont tr��s-provinciaux et leurs mains rarement belles; leur voix est un peu virile, et l'accent du pays n'est pas m��lodieux. Mais leurs yeux ont une beaut�� particuli��re et une expression de hardiesse et de bont�� qui ne trompe pas.
Tel ��tait le monde o�� Joseph Marteau essaya de lancer le timide Andr��, en lui d��clarant que le bonheur supr��me ��tait l�� et non ailleurs, et qu'il ne pouvait pas manquer de sortir enivr�� du premier bal o�� il mettrait les pieds. Andr�� se laissa donc conduire et se conduisit lui-m��me assez bien durant toute la soir��e. Il dansa tr��s-assid?ment, ne fit manquer aucune figure, d��pensa au moins cinq francs en oranges et en pralines offertes aux dames; m��me il se montra homme de talent et de bonne soci��t�� (comme disent les gens de mauvaise compagnie) en prenant la place du premier violon, qui ��tait ivre, et en jouant tr��s-proprement un quadrille de contredanse tir��es de la Muette de Portici.
Malgr�� ces excellentes actions, Andr�� ne prit pas beaucoup dans la soci��t�� artisane. On le trouva fier, c'est-��-dire silencieux et froid; lui-m��me ne s'amusa gu��re et ne fut pas aussi enchant�� qu'on le lui avait pr��dit. La beaut�� de ces grisettes n'��tait nullement celle qui plaisait �� son imagination. Il ��tait difficile, mais ce n'��tait pas sa faute; il avait dans la t��te l'ineffa?able souvenir d'un teint pale, de deux grands yeux m��lancoliques, d'une voix douce, et voulait �� toute force trouver de la po��sie, sinon dans le langage, du moins dans le silence d'une femme. Tout ce petit caquetage d'enfants gat��s lui d��plut. D'ailleurs il n'��tait pas ais�� d'en approcher; la moins belle ��tait surveill��e par plus d'un aspirant jaloux, et Andr�� ne se sentait pas la moindre vocation pour le r?le de Lovelace campagnard. Trop modeste pour esp��rer de supplanter qui que ce f?t, il ��tait trop nonchalant pour engager la lutte avec un concurrent. Il se retira donc de bonne heure, laissant Joseph dans une grande exaltation entre une belle ravaudeuse aux yeux noirs et un ��norme bol de vin chaud.
--Comment, dit-il �� Andr�� le lendemain, tu es parti avant la fin! Tu n'y entends rien, mon cher; tu ne sais pas que c'est le meilleur moment. On se place adroitement �� la sortie, on jette son d��volu sur une fille mal gard��e, on lui offre le bras, elle accepte. Vous la reconduisez jusque chez elle, vous avez pour elle mille petits soins durant le trajet: vous lui offrez, votre manteau, elle en accepte la moiti��; vous la soulevez dans vos bras pour traverser le ruisseau. Si un chien passe aupr��s d'elle dans l'obscurit��, elle se presse contre vous d'un petit air effray��, sous pr��texte qu'elle a grand'peur des chiens enrag��s; vous la rassurez, et vous brandissez votre canne en ��levant la voix de mani��re �� r��veiller toute la rue. Si le chien a l'air de n'��tre pas belliqueux, vous pouvez m��me aller jusqu'�� l'assommer d'un grand coup de pied en passant; cela fait bien et donne l'air crane. Surtout ��vitez de jurer; la grisette hait tout ce qui sent le paysan. Ne gardez pas votre pipe �� la bouche en lui donnant le bras; elle est exigeante et veut du respect. Glissez-lui un compliment agr��able de temps en temps, en proc��dant toujours par comparaison; par exemple, dites: Mademoiselle une telle est bien jolie, c'est dommage qu'elle soit si pale; ce n'est pas une rose du mois de mai comme vous. Si votre belle est pale, parlez d'une personne un peu trop enlumin��e, et dites que les grosses couleurs donnent l'air d'une servante. Mais surtout choisissez dans la premi��re soci��t�� les beaut��s que vous voulez d��nigrer; votre compliment sera deux fois mieux accueilli. Enfin, au moment de quitter votre infante, prenez un air respectueux, et demandez-lui la permission de l'embrasser. D��s qu'elle aura consenti, redoublez de civilit�� et embrassez-la le chapeau �� la main; aussit?t apr��s saluez jusqu'�� terre. Gardez-vous bien de baiser la main, on se moquerait de vous. Replacez-lui son chale sur les ��paules;
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