Andre | Page 9

George Sand
louez sa taille, mais n'y touchez pas. Faites ce m��tier-l�� cinq ou six jours de suite; apr��s quoi vous pouvez tout esp��rer.
--Et cela suffit pour ��tre pr��f��r�� �� un amant en titre?
--Bah! quand on n'a peur de rien, quand on ne doute de rien, on arrive �� tout. D'ailleurs je ne te dis pas d'aller te mettre en concurrence avec un de ces gros corroyeurs qui sont accoutum��s �� charger des boeufs sur leurs ��paules, ni avec un de ces fils de fermier qui ont toujours �� la main un baton de cormier ou un brin de houx de la taille d'un mat de vaisseau. Non, il y a assez de freluquets auxquels on peut s'attaquer, de petits clercs d'avou�� qui ont la voix fl?t��e et le menton lisse comme la main, ou bien des flandrins de la haute bourgeoisie qui n'ont pas envie de d��chirer leurs habits de drap fin. Ceux-l��, vois-tu, on leur souffle leur dulcin��e en quinze jours quand on sait s'y prendre. La grisette aime assez ces marjolets qui font des phrases et qui portent des jabots; mais elle aime par-dessus tout un brave tapageur qui ne sait pas nouer sa cravate, qui a le chapeau sur l'oreille, et qui pour elle ne craint pas de se faire enfoncer un oeil ou casser une dent.
Andr�� secoua la t��te.
--Je ne ferais pas fortune ici, dit-il, et je ne chercherai pas.
--Comme tu voudras, reprit Joseph; mais viens toujours d?ner avec nous aujourd'hui, tu nous l'as promis.
Andr�� se rendit donc �� cinq heures chez les parents de son ami Marteau.
--Parbleu! dit Joseph, si tu fuis les grisettes, les grisettes te poursuivent. Ma m��re fait faire le trousseau de ma soeur qui se marie, et nous avons quatre ouvri��res dans la maison. Quatre! et des plus jolies, ma foi! Moi, je ne fais que d��vider le fil et de ramasser les ciseaux de ces Omphales. Je tourne �� l'entour en sournois, comme le renard autour d'un perchoir �� poules, jusqu'�� ce que la moins prudente se laisse prendre par le vertige et tombe au pouvoir du larron. Le soir, quand elles ont fini leur tache, je les fais danser dans la cour au son de la fl?te, sur six pieds carr��s de sable, �� l'ombre de deux acacias. C'est une sc��ne champ��tre digne d'arracher de tes yeux des larmes bucoliques. Ah! tu me verras ce soir transform�� en Tityre, assis sur le bord du puits; et je veux te faire voltiger toi-m��me au milieu de mes nymphes. Ah ?��! tu sais l'usage du pays? Les ouvri��res en journ��e mangent �� la m��me table que nous. Ne va pas faire le d��daigneux; songe que cela se fait dans tout le d��partement, dans les grands chateaux tout comme chez les bourgeois.
--Oui, oui, je le sais, r��pondit Andr��; c'est un usage du vieux temps que les artisans ne cherchent pas �� d��truire.
--Moi, j'aime beaucoup cet usage-l��, parce que les filles sont jolies. Si jamais je me marie, et si ma femme (comme font beaucoup de jalouses) n'admet au logis que des ouvri��res de quatre-vingts ans, je saurai fort bien les envoyer manger �� l'office, ou bien je leur ferai servir des nougats de pierre �� fusil qui les d��go?teront de mon ordinaire. Mais ici c'est diff��rent: les bouches sont fra?ches et les dents blanches. Que la beaut�� soit la reine du monde, rien de mieux.

IV.
L'int��rieur de la famille Marteau ��tait patriarcal. La grand'm��re, matrone pleine de vertus et d'ob��sit��, ��tait assise pr��s de la chemin��e et tricotait un bas gris. C'��tait une excellente femme, un peu sourde, mais encore gaie, qui de temps en temps pla?ait son mot dans la conversation, tout en ricanant sous les lunettes sans branches qui lui pin?aient le nez. La m��re ��tait une m��nag��re s��che et discr��te, active, silencieuse, absolue, sujette �� la migraine, et partant chagrine. Elle ��tait debout devant une grande table couverte d'un tapis vert et taillait elle-m��me la besogne aux ouvri��res: mais, malgr�� son caract��re absolu, la dame ne leur parlait qu'avec une extr��me politesse, et souffrait, non sans une secr��te mortification, que tous ses coups de ciseaux fussent soumis �� de longues discussions de leur part.
Aupr��s de la fen��tre ouverte, les quatre ouvri��res et les trois filles de la maison, press��es comme une compagnie de perdrix, travaillaient au trousseau; la fianc��e elle-m��me brodait le coin d'un mouchoir. La ma?tresse ouvri��re, plac��e sur une chaise plus ��lev��e que les autres, dirigeait les travaux, et de temps en temps donnait un coup d'oeil aux ourlets confi��s aux petites filles. Les grisettes en sous-ordre ne comptaient pas cinquante ans �� elles trois; elles ��taient fra?ches, rieuses et d��gourdies �� l'avenant. Les t��tes blondes des enfants de la maison, pench��es d'un petit air boudeur sur leur ouvrage et ne prenant aucun int��r��t �� la conversation, se m��laient
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