Amours fragiles | Page 7

Victor Cherbuliez
la meilleure partie de ses journ��es et m��me de ses nuits. Cependant cet ��go?ste ou ce sage avait toujours pris �� coeur les int��r��ts de son neveu, �� qui il destinait son h��ritage, et au surplus il ��tait curieux et ne s'en cachait pas. Il ordonna en soupirant �� son valet de chambre de pr��parer ses malles, et le soir m��me il partait pour Vichy.
Pr��venue par une d��p��che, Mme de Penneville l'attendait �� la gare. Du plus loin qu'elle l'aper?ut, elle courut �� sa rencontre et lui dit:
?Figurez-vous que cette femme est veuve et qu'il s'est mis en t��te de l'��pouser!
--Ah! pauvre m��re! s'��cria le marquis. Cette fois, j'en conviens, le cas est grave.?

II
M. de Miraval ne s'��tait pas tromp�� dans ses conjectures; les choses s'��taient pass��es �� peu pr��s comme il l'avait pens��. Le comte Horace de Penneville avait fait au Caire la connaissance d'une belle blonde, et pour la premi��re fois de sa vie son coeur s'��tait pris. On s'��tait rencontr�� au New-Hotel; d��s les premiers jours, Mme Corneuil s'��tait mise en frais pour attirer sur elle les regards et les pens��es du jeune homme. M. Corneuil ayant paru se ranimer et pouvant se passer de sa garde-malade, on avait profit�� de ce mieux trompeur pour visiter ensemble le mus��e de Boulaq, les souterrains du Serapeum, les pyramides de Gizeh et de Saqqarah. Horace avait pris au s��rieux son m��tier de cic��rone; il s'��tait fait une affaire et un plaisir d'expliquer l'��gypte �� Mme Corneuil, et Mme Corneuil avait ��cout�� toutes ses explications dans un profond recueillement, avec une attention ��mue, �� laquelle se m��laient par intervalles d'aimables transports. Elle ��tait comme saisie et toute palpitante; au fond de ses yeux s'allumait une flamme sombre; elle poss��dait mieux que personne l'art d'��couter avec les yeux. Elle n'avait fait aucune difficult�� d'admettre que Mo?se a v��cu sous Rhams��s II; elle avait paru charm��e d'apprendre que la deuxi��me dynastie r��gna trois cent deux ans, que Men��s ��tait originaire de Thinis, et que la grande pyramide �� degr��s fut batie par K��k��ou, le C��cho��s de Man��thon, par qui fut ��tabli le culte du boeuf Apis, manifestation vivante du dieu Ptah. Elle ��prouvait un enthousiasme de n��ophyte en se faisant initier aux sacr��s myst��res de la chronologie ��gyptienne; elle d��clara que c'��tait la plus belle des sciences et le plus doux des passe-temps; elle jura d'apprendre �� d��chiffrer les hi��roglyphes.
Ce fut dans une visite au tombeau de Ti, �� la clart�� rougeatre des torches, que l'��v��nement se d��cida. Ils examinaient dans une sorte d'extase tous les tableaux grav��s sur la paroi de chacune des chambres fun��raires. Il en est un qui repr��sente un chasseur assis dans une barque, au milieu d'un marais o�� nagent des hippopotames et des crocodiles. Comme ils se penchaient sur ces crocodiles, Mme Corneuil, absorb��e dans sa contemplation, fit un faux mouvement, et sa joue fr?la celle du jeune homme; il sentit un fr��missement qu'il n'avait jamais ��prouv��. Elle sortit la premi��re du tombeau; en la rejoignant, il fut comme ��bloui; il d��couvrit tout �� coup qu'elle avait un port de reine, des yeux bruns m��l��s de fauve, les plus admirables cheveux du monde, qu'elle ��tait belle comme un songe et qu'il l'aimait comme un fou.
Quelques semaines apr��s, M. Corneuil avait rendu son ame �� Dieu, en laissant toute sa fortune �� sa femme, qui l'avait soign��, il faut le dire, avec une h��ro?que patience. La veille du jour o�� elle devait s'embarquer pour emmener �� P��rigueux un cercueil plomb��, Horace lui demanda la faveur d'un instant d'entretien, et le soir, sur la terrasse du New-Hotel, sous le ciel ��toil�� d'��gypte, dans un air d��licieux o�� flottaient les grandes ombres vagues des Pharaons, il lui fit l'aveu de sa passion et tenta de lui arracher la promesse qu'avant un an elle serait �� lui pour la vie. Ce fut alors qu'il put conna?tre toute la d��licatesse de ce coeur d'��lite. Elle lui reprocha, les yeux baiss��s, l'exc��s de son amour, lui repr��senta que le mort n'��tait pas encore enterr��, qu'il lui r��pugnait de marier les roses aux cypr��s et les pens��es amoureuses aux longs voiles de cr��pe. Mais elle lui permit d'��crire et s'engagea elle-m��me �� lui donner r��ponse dans six mois; en le quittant, elle avait aux l��vres un demi-sourire infiniment pudique, mais fort encourageant. Il avait remont�� le Nil; il avait gagn�� la Haute-��gypte, heureux de passer ses mois d'attente dans la solitude d'une Th��ba?de, o�� les journ��es ont plus de vingt-quatre heures; on n'en a jamais trop pour d��chiffrer des hi��roglyphes en pensant �� Mme Corneuil. Les crocodiles devaient jouer un grand r?le dans cette histoire. Horace ��tait �� K��ri ou Crocodilopolis quand il re?ut un billet parfum�� et vraiment exquis, destin�� �� lui apprendre que la femme ador��e passait l'��t�� avec sa m��re sur
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