disent-ils? les documents humains, et il para?t que personne ne s'en ��tait avis�� jusqu'aujourd'hui, pas m��me mon vieil ami Fielding, que je relis tous les ans. Documentez �� votre aise, mes enfants, et allez d?ner chez Mme Corneuil, qui ne re?oit que les gens qui documentent. Je n'aime pas beaucoup les p��dants s��rieux, mais j'ai la sainte horreur de la p��danterie appliqu��e �� la babiole; n'��tant plus jeune, je suis de l'avis de Voltaire, qui n'aimait pas qu'on discutat pesamment ce qui ne vaut pas la peine d'��tre remarqu�� l��g��rement.
?Le roman de Mme Corneuil, j'ai regret �� le dire, tomba tout �� plat; encore pr��tend-on qu'il y avait un teinturier. Elle tacha de se rattraper sur les vers et publia un volume de sonnets; il n'��tait pas question l�� dedans de M. Corneuil; c'��taient des vers ��crits au courant de la plume, mais d'une plume taill��e par un ange, et pleins des sentiments les plus exquis, les plus suaves, les plus raffin��s. R��gle g��n��rale, quand les femmes s��par��es font des sonnets, ces sonnets sont toujours sublimes. Malheureusement le sublime ne se vend gu��re; ce fut un cruel chagrin pour Mme Corneuil, qui du coup se brouilla avec la muse et cong��dia son teinturier.
?Tous les grands artistes, Mozart comme M. de Talleyrand, Rapha?l comme M. de Bismarck, ont eu plusieurs mani��res. Mme Corneuil jugea �� propos de changer la sienne. Elle r��forma son train de maison, sa cuisine, son mobilier et ses toilettes. Son humeur tourna au grave; elle se prit d'un go?t subit pour les tons neutres, pour les conversations s��v��res, pour la m��taphysique et pour les rubans feuille-morte. Cette belle blonde s'aper?ut qu'elle ne valait tout son prix qu'en se d��tachant en demi-teinte dans un salon meubl�� de gens s��rieux. Elle s'imposa la tache d'��purer le sien; elle mit tout doucement �� la porte la plupart de ses petits messieurs, les plus bruyants du moins, ceux qui fr��quentaient les coulisses et qui aimaient �� conter des histoires grasses. Elle s'��tait d��go?t��e du tapage; elle avait d��couvert que la consid��ration vaut mieux, f?t-elle achet��e par un peu d'ennui. Elle s'effor?a d'attirer chez elle des hommes pos��s, des personnages, et surtout des femmes irr��prochables. C'��tait difficile; mais, avec un peu de travail et beaucoup de pers��v��rance, une ambitieuse qui ne craint pas l'ennui arrive �� tout. Elle ne faisait plus de sonnets ni de romans; elle se jeta �� corps perdu dans les oeuvres de charit��.
?La charit��, ma ch��re Mathilde, est �� la fois et selon les cas la plus belle des vertus ou la plus utile des industries. Tu as tes pauvres, et Dieu seul pourrait nous dire comme tu les aimes, comme tu les soignes, comme tu les choies; mais ce que fait ta main droite, ta main gauche n'en saura jamais rien. J'ignore si Mme Corneuil a souvent vu des pauvres ou des pauvresses; en revanche, elle va, elle vient, elle se remue, elle s'intrigue, elle p��rore, elle est de six comit��s, de douze sous-commissions; c'est une qu��teuse incomparable, une caissi��re tr��s experte, une tr��sori��re fort entendue, une vice-pr��sidente accomplie. Oui, ma ch��re, on assure que personne ne pr��side comme elle. Voil�� de fameux placements et le meilleur moyen de se pousser dans le monde. J'ajoute que, si elle ne fait plus de vers, elle n'a pas renonc�� �� la prose. Elle a compos�� un ��loquent trait�� sur l'Apostolat de la femme, qui se vend au profit d'un nouvel hospice et qui en est �� sa cinqui��me ��dition. Les sonnets ��taient sublimes; son trait�� est plus que sublime. C'est un amalgame des tendresses de saint Fran?ois de Sales et des spiritualit��s de sainte Th��r��se; jamais on n'a tenu la drag��e si haute �� notre pauvre esp��ce humaine; ce n'est plus de l'air respirable, c'est du pur ��ther. Je serais curieux de savoir ce qu'en ont pens�� M. Corneuil et P��rigueux.
?Le joli gar?on qui m'a fourni ces d��tails s'en expliquait sur un ton railleur; je m'avisai de lui demander... Il m'interrompit en me disant: ?On n'en sait rien, les heureux qu'elle a pu faire ont ��t�� discrets. A mon avis, elle est froide comme glace, et si jamais elle fait une faute, c'est qu'elle y trouvera son compte. Elle p��che �� la ligne dormante; quand le poisson mord, tant pis pour lui, elle n'y est pour rien. Ce qui est certain, c'est qu'elle a l'oreille prude et qu'elle entend qu'on la traite en divinit�� et qu'on la nourrisse d'ambroisie, sans lui m��nager l'encens. Je doute que sa vertu lui soit ch��re; mais elle tient beaucoup �� sa r��putation par souci de l'avenir. Elle aspire �� devenir une puissance, �� ��tre quelque chose dans la politique, et comme elle est persuad��e que M. Corneuil en a dans l'aile, son r��ve est d'��pouser quelque jour un beau nom ou un d��put��;
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