Amours fragiles | Page 3

Victor Cherbuliez
monstre, apr��s avoir aim�� cet ange, s'��tait d��go?t�� de son bonheur, dont il ��tait indigne, qu'il avait us�� des proc��d��s les plus r��voltants, qu'il ne lui avait pas suffi d'avoir des ma?tresses et de les afficher, qu'il s'��tait livr�� �� des emportements odieux, compliqu��s de voies de fait, de v��ritables s��vices. A cela ma?tre Virion r��pliqua que, si son client avait eu l'imprudence de s'abandonner par-devant t��moins �� de regrettables vivacit��s, ce n'��tait point un monstre, et que, ai la demanderesse ��tait une cr��ature ang��lique, il y avait dans le coeur onctueux de cet ange beaucoup de vinaigre et surtout beaucoup de calcul. Il s'effor?a de d��montrer �� la cour que M. Corneuil n'avait eu que des torts fort excusables, mais que sa femme lui faisait un crime de s'obstiner �� vivre �� P��rigueux, o�� elle ne pouvait se souffrir, que n'ayant point r��ussi �� lui persuader de transporter le domicile conjugal �� Paris, seul s��jour, pensait-elle, qui f?t digne de ses graces et de son g��nie, elle avait form�� le projet de reconqu��rir son ind��pendance, qu'�� cet effet elle s'��tait appliqu��e avec un art machiav��lique �� le mettre dans ses torts, qu'elle lui avait rendu son int��rieur insupportable par la s��cheresse de son humeur, par toute sorte de petites pers��cutions, par ces mille coups d'��pingle dont les anges ont le secret et qui poussent �� bout des hommes qui ne sont pas des monstres. Le malheureux ��tait-il si coupable d'avoir cherch�� �� se consoler? Je le r��p��te, les deux avocats firent merveille. La difficult�� est de savoir qui mentait; pour mon compte, je les aurais renvoy��s dos �� dos. Ce qui est certain, c'est que la cour donna raison �� ma?tre Papin. La s��paration fut prononc��e et la moiti�� de la fortune adjug��e �� Mme Corneuil. Cependant ma?tre Virion n'avait pas menti de tout point, puisque, six mois apr��s le jugement, Mme Corneuil partait pour Paris en compagnie de sa m��re.
?Tu me demanderas, je le pr��vois, ma ch��re Mathilde, ce qu'a bien pu devenir �� Paris la belle Mme Corneuil; ce n'est pas ce que tu penses. J'ai fait trois courses ce matin �� l'unique fin de pouvoir te renseigner; ne me remercie pas trop: j'aime �� courir. Mme Corneuil n'a pas encore assouvi toutes ses secr��tes ambitions; elle ne peut pas dire: Je suis arriv��e, m'y voil��! Mais elle est en bon chemin. Le papillon n'a pas d��pouill�� enti��rement sa chrysalide; il est patient; quelque jour il d��ploiera ses ailes et sortira triomphant de son ��tui. Cependant Mme Corneuil re?oit; elle donne �� d?ner; elle a un salon. Une jolie femme, qui a une m��re habile et un bon chef, n'a pas �� craindre qu'on la laisse s��cher dans la solitude. On trouvait autrefois chez elle beaucoup de gens de lettres, surtout de ceux qui appartiennent �� la nouvelle ��cole, �� ce qu'on appelle le parti des jeunes. Grand bien leur fasse! Il en est dans le nombre qui ont du talent et de l'avenir; il en est d'autres dont on assure que leurs nouveaut��s ne sont pas neuves et que leur jeunesse sent un peu le rance; mais ce ne sont pas mes affaires. Cela ne les emp��che point d'avoir de bonnes dents, et on mange tr��s bien chez Mme Corneuil. Elle ne se contentait pas de nourrir la litt��rature, elle en faisait elle-m��me, et elle employait les jeunes gens qui fr��quentaient chez elle �� ��crire �� sa louange de petits articles dans les petite journaux. Les estomacs reconnaissants sont d'excellentes trompettes, et au surplus elle est assez riche pour payer sa gloire.
?Dix-huit mois apr��s son installation �� Paris, elle publia un roman, qui, par le plus grand des hasards, me tomba sous la main. Je te confesse que je ne l'ai pas lu jusqu'au bout; on ne peut demander �� un homme d'avoir tous les genres de courage. Cela commen?ait par la description d'un brouillard. Au bout de dix pages, le ciel soit lou��! le brouillard se levait, et on apercevait une femme dans une cal��che. Je me souviens que cette cal��che sortait de chez Binder, et je me souviens aussi que cette femme, dont le coeur ��tait un ab?me, gantait le six un quart, qu'elle avait trois taches de rousseur �� la tempe droite, ni plus ni moins, ?des narines palpitantes, des ronds de bras inimitables et des silences anh��lants.? Je ne sais si tu es comme moi, le charabia et les descriptions me font peur, et je me sauve. J'ai d'ailleurs l'esprit si mal fait que cette femme, dont le portrait a co?t�� tant de mal �� l'auteur, je ne la vois pas; le bon Hom��re, qui n'��tait pas un jeune, s'est content�� de m'apprendre qu'Achille ��tait blond, et je le vois. Enfin, que veux-tu? C'est la mode du jour; cela s'appelle ��tudier... comment
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