vivifiez tout ce qui vous entoure; la vertu n'est douce qu'auprès de vous, on ne la conno?t qu'où vous êtes; soutenue par l'empire de la beauté, c'est sous vos traits qu'elle captive, c'est par vous qu'elle séduit: et je ne me sens jamais si honnête que lorsque je vous approche ou que je vous quitte. Qui ranimera maintenant dans mon coeur ces sentimens qui naissaient près de vous ... qui me fortifiaient dans le reste de ma vie?... Mon ame va se flétrir séparée de la v?tre, elle va devenir comme ces fleurs qui se desséchent à mesure que s'éloignent d'elles les rayons de l'astre qui les fit éclore.... O ma chère Aline! il n'est plus un instant de félicité pour moi sur la terre.... Mais je vous écrirai du moins.... Vous me le permettez?... Je le pourrai.... Hélas! c'est une consolation sans doute, mais qu'elle est loin de celle que je désire ... qu'elle est loin de celle qu'il me faut.... Et quand sera-t-il ce voyage? quoi, je ne vous verrai pas avant qu'il s'entreprenne, et pour la première fois de ma vie, depuis trois ans que je vous connais, je passerais une saison entière éloigné de vous?... Ordre barbare! ... père cruel! adoucissez-le, Aline, ce terrible et funeste arrêt.... Que je puisse vous voir encore un seul jour ... une seule heure, hélas! je ne veux que cela pour vivre un an; je recueillerai dans cette heure précieuse, tout ce que mon ame aura besoin de sentimens pour la faire exister des siècles. Mère adorable, souffrez que je vous implore, c'est à vos pieds que cette grace est demandée.... Rappelez cette indulgence si active et si tendre, qui vous caractérise sans cesse; cette bonté, cette humanité qui vous rend si sensible au sort amer de l'infortune. Hélas! vous n'aurez jamais secouru de malheureux dont les maux fussent plus cuisans. Que la nature m'accable de tous ceux qu'elle voudra; mais qu'elle me laisse les yeux d'Aline et son coeur.... J'attends votre réponse; je l'attends comme les criminels attendent le coup de la mort. Ah! si je la crains, c'est que je la devine.... Mais une heure, Aline,... une seule heure ... ou vous ne m'avez jamais aimé.... Au moins éloignez cet homme ... qu'il n'aille pas avec vous, à la campagne.... Je ne vous dis pas de refuser ses noeuds qu'on vous offre avec lui.... Non, Aline, je ne vous le dis point; il est de certains cas où la recommandation même est un outrage, et je crois que c'est dans celui-ci. Oui, j'ose être s?r de vous, parce que je vous aime, parce que vous m'avez dit que je ne vous étais pas indifférent, et que vous ne voudriez pas arracher le coeur de votre ami.
* * * * *
LETTRE QUATRIèME
_Aline à Valcour_.
9 Juin.
Je vous sais gré de votre résignation, mon ami, quoiqu'elle ne soit pas très-entière; n'importe, n'abusez pas de ce que je vais vous dire, mais ma reconnaissance e?t été moindre si vous eussiez obéi de meilleur coeur. Que vos peines s'adoucissent, ? mon cher Valcour, par la certitude que je les partage. Je ne sais ce que ma mère a dit à son mari, mais M. d'Olbourg n'a point reparu depuis le soir où il soupa ici, et j'ai cru lire moins de sévérité dans les yeux de mon père; n'allez pas croire qu'il résulte de-là que ses premiers projets se soient anéantis, je vous aime trop sincèrement pour laisser germer dans votre coeur une espérance qu'il ne faudrait que trop t?t perdre. Mais les choses ne seront pas, au moins, aussi prochaines que je le craignais, et dans une circonstance comme celle où nous sommes, je vous le répète, c'est tout obtenir que d'avoir des délais.
Notre voyage à Vert-feuille est décidé: mon père trouve bon que nous allions, ma mère et moi, y passer la belle saison, ses affaires l'obligeant à rester tout l'été à Paris: il nous laissera seules et tranquilles; mais je ne vous cache pas, mon ami, qu'une des clauses de cette permission est que vous n'y para?trez pas. Jugez, d'après cette sévérité, s'il serait possible de vous accorder l'heure que vous sollicitez avec tant d'instance?
A l'envie que ma mère avait de savoir du Président par quelle raison vous lui étiez devenu, dans l'instant, si suspect, il a répondu:
?Qu'il ne s'était jamais imaginé, quand on vous présenta chez lui, que vous osassiez porter vos vues sur sa fille; qu'au seul titre de connaissance et d'ami de société, il n'avait pas mieux demandé que de vous accueillir; mais que s'étant enfin aper?u de nos sentimens mutuels, cette fatale homme très-riche, et son ami depuis longtems?.
Ma mère, très-contente de l'amener peu-à-peu à une explication, sans combattre absolument son projet, lui a demandé les motifs de son éloignement pour vous. Le peu de fortune
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