choisir entre deux partis, la figure humaine me trouble, et mon mouvement naturel est de la fuir pour d��lib��rer en paix. Je n'avais point cependant la profondeur d'��go?sme qu'un tel caract��re para?t annoncer: tout en ne m'int��ressant qu'�� moi, je m'int��ressais faiblement �� moi-m��me. Je portais au fond de mon coeur un besoin de sensibilit�� dont je ne m'apercevais pas, mais qui, ne trouvant point �� se satisfaire, me d��tachait successivement de tous les objets qui tour �� tour attiraient ma curiosit��. Cette indiff��rence sur tout s'��tait encore fortifi��e par l'id��e de la mort, id��e qui m'avait frapp�� tr��s jeune, et sur laquelle je n'ai jamais con?u que les hommes s'��tourdissent si facilement. J'avais �� l'age de dix-sept ans vu mourir une femme ag��e, dont l'esprit, d'une tournure remarquable et bizarre, avait commenc�� �� d��velopper le mien. Cette femme, comme tant d'autres, s'��tait, �� l'entr��e de sa carri��re, lanc��e vers le monde, qu'elle ne connaissait pas, avec le sentiment d'une grande force d'ame et de facult��s vraiment puissantes. Comme tant d'autres aussi, faute de s'��tre pli��e �� des convenances factices, mais n��cessaires, elle avait vu ses esp��rances tromp��es, sa jeunesse passer sans plaisir; et la vieillesse enfin l'avait atteinte sans la soumettre. Elle vivait dans un chateau voisin d'une de nos terres, m��contente et retir��e, n'ayant que son esprit pour ressource, et analysant tout avec son esprit. Pendant pr��s d'un an, dans nos conversations in��puisables, nous avions envisag�� la vie sous toutes ses faces, et la mort toujours pour terme de tout; et apr��s avoir tant caus�� de la mort avec elle, j'avais vu la mort la frapper �� mes yeux.
Cet ��v��nement m'avait rempli d'un sentiment d'incertitude sur la destin��e, et d'une r��verie vague qui ne m'abandonnait pas. Je lisais de pr��f��rence dans les po��tes ce qui rappelait la bri��vet�� de la vie humaine. Je trouvais qu'aucun but ne valait la peine d'aucun effort. Il est assez singulier que cette impression se soit affaiblie pr��cis��ment �� mesure que les ann��es se sont accumul��es sur moi. Serait-ce parce qu'il y a dans l'esp��rance quelque chose de douteux, et que, lorsqu'elle se retire de la carri��re de l'homme, cette carri��re prend un caract��re plus s��v��re, mais plus positif? Serait-ce que la vie semble d'autant plus r��elle que toutes les illusions disparaissent, comme la cime des rochers se dessine mieux dans l'horizon lorsque les nuages se dissipent?
Je me rendis, en quittant Gottingue, dans la petite ville de D**. Cette ville ��tait la r��sidence d'un prince qui, comme la plupart de ceux de l'Allemagne, gouvernait avec douceur un pays de peu d'��tendue, prot��geait les hommes ��clair��s qui venaient s'y fixer, laissait �� toutes les opinions une libert�� parfaite, mais qui, born�� par l'ancien usage �� la soci��t�� de ses courtisans, ne rassemblait par l�� m��me autour de lui que des hommes en grande partie insignifiants ou m��diocres. Je fus accueilli dans cette cour avec la curiosit�� qu'inspire naturellement tout ��tranger qui vient rompre le cercle de la monotonie et de l'��tiquette. Pendant quelques mois je ne remarquai rien qui put captiver mon attention. J'��tais reconnaissant de l'obligeance qu'on me t��moignait; mais tant?t ma timidit�� m'emp��chait d'en profiter, tant?t la fatigue d'une agitation sans but me faisait pr��f��rer la solitude aux plaisirs insipides que l'on m'invitait �� partager. Je n'avais de haine contre personne, mais peu de gens m'inspiraient de l'int��r��t; or les hommes se blessent de l'indiff��rence, ils l'attribuent �� la malveillance ou �� l'affectation; ils ne veulent pas croire qu'on s'ennuie avec eux, naturellement. Quelquefois je cherchais a contraindre mon ennui; je me r��fugiais dans une taciturnit�� profonde: on prenait cette taciturnit�� pour du d��dain. D'autres fois, lass�� moi-m��me de mon silence, je me laissais aller �� quelques plaisanteries, et mon esprit, mis en mouvement, m'entra?nait au-del�� de toute mesure. Je r��v��lais en un jour tous les ridicules que j'avais observ��s durant un mois. Les confidents de mes ��panchements subits et involontaires ne m'en savaient aucun gr�� et avaient raison; car c'��tait le besoin de parler qui me saisissait, et non la confiance. J'avais contract�� dans mes conversations avec la femme qui la premi��re avait d��velopp�� mes id��es une insurmontable aversion pour toutes les maximes communes et pour toutes les formules dogmatiques. Lors donc que j'entendais la m��diocrit�� disserter avec complaisance sur des principes bien ��tablis, bien incontestables en fait de morale, de convenances ou de religion, choses qu'elle met assez volontiers sur la m��me ligne, je me sentais pouss�� �� la contredire, non que j'eusse adopt�� des opinions oppos��es, mais parce que j'��tais impatiente d'une conviction si ferme et si lourde. Je ne sais quel instinct m'avertissait, d'ailleurs, de me d��fier de ces axiomes g��n��raux si exempts de toute restriction, si purs de toute nuance. Les sots font de leur morale une masse compacte et indivisible, pour qu'elle se m��le le moins
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.