Adolphe | Page 4

Benjamin Constant
anciennes sans adresses, ou dont les adresses et les signatures ��taient effac��es, un portrait de femme et un cahier contenant l'anecdote ou l'histoire qu'on va lire. L'��tranger, propri��taire de ces effets, ne m'avait laiss��, en me quittant, aucun moyen de lui ��crire; je les conservais depuis dix ans, incertain de l'usage que je devais en faire, lorsqu'en ayant parl�� par hasard �� quelques personnes dans une ville d'Allemagne, l'une d'entre elles me demanda avec instance de lui confier le manuscrit dont j'��tais d��positaire. Au bout de huit jours, ce manuscrit me fut renvoy�� avec une lettre que j'ai plac��e �� la fin de cette histoire, parce qu'elle serait inintelligible si on la lisait avant de conna?tre l'histoire elle-m��me.
Cette lettre m'a d��cid�� �� la publication actuelle, en me donnant la certitude qu'elle ne peut offenser ni compromettre personne. Je n'ai pas chang�� un mot �� l'original; la suppression m��me des noms propres ne vient pas de moi: ils n'��taient d��sign��s que comme ils sont encore, par des lettres initiales.
CHAPITRE PREMIER
Je venais de finir �� vingt-deux ans mes ��tudes �� l'universit�� de Gottingue. -- L'intention de mon p��re, ministre de l'��lecteur de **, ��tait que je parcourusse les pays les plus remarquables de l'Europe. Il voulait ensuite m'appeler aupr��s de lui, me faire entrer dans le d��partement dont la direction lui ��tait confi��e, et me pr��parer �� le remplacer un jour. J'avais obtenu, par un travail assez opiniatre, au milieu d'une vie tr��s dissip��e, des succ��s qui m'avaient distingu�� de mes compagnons d'��tude, et qui avaient fait concevoir �� mon p��re sur moi des esp��rances probablement fort exag��r��es.
Ces esp��rances l'avaient rendu tr��s indulgent pour beaucoup de fautes que j'avais commises. Il ne m'avait jamais laiss�� souffrir des suites de ces fautes. Il avait toujours accord��, quelquefois pr��venu, mes demandes �� cet ��gard.
Malheureusement sa conduite ��tait plut?t noble et g��n��reuse que tendre. J'��tais p��n��tr�� de tous ses droits �� ma reconnaissance et �� mon respect. Mais aucune confiance n'avait exist�� jamais entre nous. Il avait dans l'esprit je ne sais quoi d'ironique qui convenait mal �� mon caract��re. Je ne demandais alors qu'�� me livrer �� ces impressions primitives et fougueuses qui jettent l'ame hors de la sph��re commune, et lui inspirent le d��dain de tous les objets qui l'environnent. Je trouvais dans mon p��re, non pas un censeur, mais un observateur froid et caustique, qui souriait d'abord de piti��, et qui finissait bient?t la conversation avec impatience. Je ne me souviens pas, pendant mes dix-huit premi��res ann��es, d'avoir eu jamais un entretien d'une heure avec lui. Ses lettres ��taient affectueuses, pleines de conseils, raisonnables et sensibles; mais �� peine ��tions-nous en pr��sence l'un de l'autre qu'il y avait en lui quelque chose de contraint que je ne pouvais m'expliquer, et qui r��agissait sur moi d'une mani��re p��nible. Je ne savais pas alors ce que c'��tait que la timidit��, cette souffrance int��rieure qui nous poursuit jusque dans l'age le plus avanc��, qui refoule sur notre coeur les impressions les plus profondes, qui glace nos paroles, qui d��nature dans notre bouche tout ce que nous essayons de dire, et ne nous permet de nous exprimer que par des mots vagues ou une ironie plus ou moins am��re, comme si nous voulions nous venger sur nos sentiments m��mes de la douleur que nous ��prouvons �� ne pouvoir les faire conna?tre. Je ne savais pas que, m��me avec son fils, mon p��re ��tait timide, et que souvent, apr��s avoir longtemps attendu de moi quelques t��moignages d'affection que sa froideur apparente semblait m'interdire, il me quittait les yeux mouill��s de larmes et se plaignait �� d'autres de ce que je ne l'aimais pas.
Ma contrainte avec lui eut une grande influence sur mon caract��re. Aussi timide que lui, mais plus agit��, parce que j'��tais plus jeune, je m'accoutumai �� renfermer en moi-m��me tout ce que j'��prouvais, �� ne former que des plans solitaires, �� ne compter que sur moi pour leur ex��cution, �� consid��rer les avis, l'int��r��t, l'assistance et jusqu'�� la seule pr��sence des autres comme une g��ne et comme un obstacle. Je contractai l'habitude de ne jamais parler de ce qui m'occupait, de ne me soumettre �� la conversation que comme �� une n��cessit�� importune et de l'animer alors par une plaisanterie perp��tuelle qui me la rendait moins fatigante, et qui m'aidait �� cacher mes v��ritables pens��es. De l�� une certaine absence d'abandon qu'aujourd'hui encore mes amis me reprochent, et une difficult�� de causer s��rieusement que j'ai toujours peine �� surmonter. Il en r��sulta en m��me temps un d��sir ardent d'ind��pendance, une grande impatience des liens dont j'��tais environn��, une terreur invincible d'en former de nouveaux. Je ne me trouvais �� mon aise que tout seul, et tel est m��me �� pr��sent l'effet de cette disposition d'ame que, dans les circonstances les moins importantes, quand je dois
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