le droit d'insurrection.
L'insurrection de juin avait-elle raison?
On serait tenté de répondre oui et non.
Oui, si l'on considère le but, qui était la réalisation de la république; non, si l'on considère le moyen, qui était le meurtre de la république. L'insurrection de juin tuait ce qu'elle voulait sauver. Méprise fatale.
Ce contre-sens étonne, mais l'étonnement cesse si l'on considère que l'intrigue bonapartiste et l'intrigue légitimiste étaient mêlées à la sincère et formidable colère du peuple. L'histoire aujourd'hui le sait, et la double intrigue est démontrée par deux preuves, la lettre de Bonaparte à Rapatel, et le drapeau blanc de la rue Saint-Claude.
L'insurrection de juin faisait fausse route.
En monarchie, l'insurrection est un pas en avant; en république, c'est un pas en arrière.
L'insurrection n'est un droit qu'à la condition d'avoir devant elle la vraie révolte, qui est la monarchie. Un peuple se défend contre un homme, cela est juste.
Un roi, c'est une surcharge; tout d'un c?té, rien de l'autre; faire contrepoids à cet homme excessif est nécessaire; l'insurrection n'est autre chose qu'un rétablissement d'équilibre.
La colère est de droit dans les choses équitables; renverser la Bastille est une action violente et sainte.
L'usurpation appelle la résistance; la république, c'est-à-dire la souveraineté de l'homme sur lui-même, et sur lui seul, étant le principe social absolu, toute monarchie est une usurpation; f?t-elle légalement proclamée; car il y a des cas, nous l'avons dit [note: Préface du t?me Ier, Avant l'exil.], où la loi est tra?tre au droit. Ces rébellions de la loi doivent être réprimées, et ne peuvent l'être que par l'indignation du peuple. Royer-Collard disait: _Si vous faites cette loi, je jure de lui désobéir_.
La monarchie ouvre le droit à l'insurrection.
La république le ferme.
En république, toute insurrection est coupable.
C'est la bataille des aveugles.
C'est l'assassinat du peuple par le peuple. En monarchie, l'insurrection c'est la légitime défense; en république, l'insurrection c'est le suicide.
La république a le devoir de se défendre, même contre le peuple; car le peuple, c'est la république d'aujourd'hui, et la république, c'est le peuple d'aujourd'hui, d'hier et de demain.
Tels sont les principes.
Donc l'insurrection de juin 1848 avait tort.
Hélas! ce qui la fit terrible, c'est qu'elle était vénérable. Au fond de cette immense erreur on sentait la souffrance du peuple. C'était la révolte des désespérés. La république avait un premier devoir, réprimer cette insurrection, et un deuxième devoir, l'amnistier. L'Assemblée nationale fit le premier devoir, et ne fit pas le second. Faute dont elle répondra devant l'histoire.
Nous avons d? en passant dire ces choses parce qu'elles sont vraies et que toutes les vérités doivent être dites, et parce qu'aux époques troublées il faut des idées claires; maintenant nous reprenons le récit commencé.
Ce fut par la maison n° 6 que les insurgés pénétrèrent dans la place dont nous avons parlé. Cette maison avait une cour qui, par une porte de derrière, communiquait avec une impasse donnant sur une des grandes rues de Paris. Le concierge, nommé Desmasières, ouvrit cette porte aux insurgés, qui, par là, se ruèrent dans la cour, puis dans la place. Leur chef était un ancien ma?tre d'école destitué par M. Guizot. Il s'appelait Gobert, et il est mort depuis, proscrit, à Londres. Ces hommes firent irruption dans cette cour, orageux, mena?ants, en haillons, quelques-uns pieds nus, armés des armes que le hasard donne à la fureur, piques, haches, marteaux, vieux sabres, mauvais fusils, avec tous les gestes inquiétants de la colère et du combat; ils avaient ce sombre regard des vainqueurs qui se sentent vaincus. En entrant dans la cour, un d'eux cria: ?C'est ici la maison du pair de France!? Alors ce bruit se répandit dans toute la place chez les habitants effarés: _Ils vont piller le n° 6!_
Un des locataires du no. 6 était, en effet, un ancien pair de France qui était à cette époque membre de l'Assemblée constituante. Il était absent de la maison, et sa famille aussi. Son appartement, assez vaste, occupait tout le second étage, et avait à l'une de ses extrémités une entrée sur le grand escalier, et, à l'autre extrémité, une issue sur un escalier de service.
Cet ancien pair de France était en ce moment-là même un des soixante représentants envoyés par la Constituante pour réprimer l'insurrection, diriger les colonnes d'attaque et maintenir l'autorité de l'Assemblée sur les généraux. Le jour où ces faits se passaient, il faisait face à l'insurrection dans une des rues voisines, secondé par son collègue et ami le grand statuaire républicain David d'Angers.
--Montons chez lui! crièrent les insurgés.
Et la terreur fut au comble dans toute la maison.
Ils montèrent au second étage. Ils emplissaient le grand escalier et la cour. Une vieille femme qui gardait le logis en l'absence des ma?tres leur ouvrit, éperdue. Ils entrèrent pêle-mêle, leur chef en tête. L'appartement, désert, avait le grave aspect d'un lieu de travail et de rêverie.
Au moment de franchir le seuil, Gobert, le
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