enviant les hautes infortunes, de Caton enviant Régulus, de Thraséas enviant Brutus, de
Rabbe enviant Barbès. Mais point. Ce sont les vils qui se mêlent d'être jaloux des altiers;
ce qui est importuné par la fière protestation du vaincu, c'est la nullité plate et vaine.
Gustave Planche jalouse Louis Blanc, Baculard jalouse Milton, et Jocrisse jalouse
Eschyle.
L'insulteur antique ne suivait que le char du vainqueur, l'insulteur actuel suit la claie du
vaincu. Le vaincu saigne. Les insulteurs ajoutent leur boue à ce sang. Soit. Qu'ils aient
cette joie.
Cette joie paraît d'autant plus réelle qu'elle n'est point haïe du maître et qu'elle est
habituellement payée. Les fonds secrets s'épanouissent en outrages publics. Les despotes,
dans leur guerre aux proscrits, ont deux auxiliaires; premièrement, l'envie, deuxièmement,
la corruption.
Quand on dit ce que c'est que l'exil, il faut entrer un peu dans le détail. L'indication de
certains rongeurs spéciaux fait partie du sujet, et nous avons dû pénétrer dans cette
entomologie.
VII
Tels sont les petits côtés de l'exil, voici les grands:
Songer, penser, souffrir.
Être seul et sentir qu'on est avec tous; exécrer le succès du mal, mais plaindre le bonheur
du méchant; s'affermir comme citoyen et se purifier comme philosophe; être pauvre, et
réparer sa ruine avec son travail; méditer et préméditer, méditer le bien et préméditer le
mieux; n'avoir d'autre colère que la colère publique, ignorer la haine personnelle; respirer
le vaste air vivant des solitudes, s'absorber dans la grande rêverie absolue; regarder ce qui
est en haut sans perdre de vue ce qui est en bas; ne jamais pousser la contemplation de
l'idéal jusqu'à l'oubli du tyran; constater en soi le magnifique mélange de l'indignation qui
s'accroît et de l'apaisement qui augmente; avoir deux âmes, son âme et la patrie.
Une chose est douce, c'est la pitié d'avance; tenir la clémence prête pour le coupable
quand il sera terrassé et agenouillé; se dire qu'on ne repoussera jamais des mains jointes.
On sent une joie auguste à faire aux vaincus de l'avenir, quels qu'ils soient, et aux fugitifs
inconnus une promesse d'hospitalité. La colère désarme devant l'ennemi accablé. Celui
qui écrit ces lignes a habitué ses compagnons d'exil à lui entendre dire:--_Si jamais, le
lendemain d'une révolution, Bonaparte en fuite frappe à ma porte et me demande asile,
pas un cheveu ne tombera de sa tête_.
Ces méditations, compliquées de tous les déchaînements de l'adversité, plaisent à la
conscience du proscrit. Elles ne l'empêchent pas de faire son devoir. Loin de là. Elles l'y
encouragent. Sois d'autant plus sévère aujourd'hui que tu seras plus compatissant demain;
foudroie le puissant en attendant que tu secoures le suppliant. Plus tard, tu ne mettras à
ton amnistie qu'une condition, le repentir. Aujourd'hui tu as affaire au crime heureux.
Frappe.
Creuser le précipice à l'ennemi vainqueur, préparer l'asile à l'ennemi vaincu, combattre
avec l'espoir de pouvoir pardonner, c'est là le grand effort et le grand rêve de l'exil.
Ajoutez à cela le dévouement à la souffrance universelle. Le proscrit a ce contentement
magnanime de ne pas être inutile. Blessé lui-même, saignant lui-même, il s'oublie, et il
panse de son mieux la plaie humaine. On croit qu'il fait des songes; non; il cherche la
réalité. Disons plus, il la trouve. Il rôde dans le désert et il songe aux villes, aux tumultes,
aux fourmillements, aux misères, à tout ce qui travaille, à la pensée, à la charrue, à
l'aiguille, aux doigts rouges de l'ouvrière sans feu dans la mansarde, au mal qui pousse là
où l'on ne sème pas le bien, au chômage du père, à l'ignorance de l'enfant, à la croissance
des mauvaises herbes dans les cerveaux laissés incultes, aux rues le soir, aux pâles
réverbères, aux offres que la faim peut faire aux passants, aux extrémités sociales, à la
triste fille qui se prostitue, hommes, par notre faute. Sondages douloureux et utiles.
Couvez le problème, la solution éclora. Il rêve sans relâche. Ses pas le long de la mer ne
sont point perdus. Il fraternise avec cette puissance, l'abîme. Il regarde l'infini, il écoute
l'ignoré. La grande voix sombre lui parle. Toute la nature en foule s'offre à ce solitaire.
Les analogies sévères l'enseignent et le conseillent. Fatal, persécuté, pensif, il a devant lui
les nuées, les souffles, les aigles; il constate que sa destinée est tonnante et noire comme
les nuées, que ses persécuteurs sont vains comme les souffles, et que son âme est libre
comme les aigles.
Un exilé est un bienveillant. Il aime les roses, les nids, le va-et-vient des papillons. L'été
il s'épanouit dans la douce joie des êtres; il a une foi inébranlable dans la bonté secrète et
infinie, étant puéril au point de croire en Dieu; il fait du printemps sa maison; les
entrelacements des branches, pleins de charmants antres verts, sont la demeure
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