Abrégé de lHistoire Générale des Voyages | Page 7

Jean François de la Harpe
seulement il faut le plaindre d'avoir quelquefois travaillé pour de l'intérêt. De ce genre d'occupation para?t avoir été l'Abrégé de l'Histoire des Voyages, qu'il commen?a en 1780, et qui eut convenu plut?t à un bon géographe qu'à un po?te distingué. Laharpe n'apporta pas à ce travail toutes les qualités nécessaires; mais aussi il en apporta qui manquent quelquefois aux savans; je veux dire, la pureté du go?t, l'élégance de la diction, et un esprit philosophique. Ses Cours de Littérature, professés avec beaucoup d'éclat au Lycée, aujourd'hui Athénée royal, et ses articles critiques, insérés dans le Mercure de France, étendirent encore sa réputation; et il avait acquis l'autorité d'un juge en littérature, lorsque l'époque des grandes réformes arriva pour la France. L'esprit vif et philosophique de Laharpe dut embrasser chaudement le parti nombreux qui demandait la suppression des abus. Il ne sortit pas d'abord de sa carrière, et la démarche la plus éclatante qu'il fit, ce fut de présenter, à la tête des auteurs dramatiques, une adresse à l'assemblée nationale, pour la prier de rendre le théatre libre, et assurer les droits de propriété des auteurs. Les comédiens du roi, ne songeant qu'à leurs intérêts, firent une contre-pétition; mais Laharpe réfuta leur faible réplique, et plus tard la force des choses amena les changemens que les gens de lettres avaient sollicités. Prenant un intérêt plus vif aux événemens publics à mesure qu'ils gagnaient plus d'importance, Laharpe adopta le langage des hommes exagérés de ce temps. On conna?t les vers ridicules qu'il débita dans la chaire du Lycée à l'occasion du manifeste du duc de Brunswick:
Le fer! il boit le sang: le sang nourrit la rage, Et la rage donne la mort.
Malgré les preuves et le soin qu'il eut de s'affubler du bonnet rouge, il ne put échapper aux soup?ons et à la persécution des démagogues; il fut enfermé dans la prison du Luxembourg, et si le règne sanguinaire de Robespierre e?t continué, peut-être aurait-il partagé le sort de tant de malheureuses victimes de ce dictateur lachement cruel. Ce fut pendant cette captivité que Laharpe, avec la promptitude des esprits vifs et exagérés, passa d'un sentiment au sentiment opposé; peut-être aussi la crainte de la mort ébranla-t-elle les fibres de son cerveau. L'auteur de Mélanie et des Brames, le partisan de la philosophie et l'élève de Voltaire, devint religieux et presque dévot, et se convertit complétement. Ce fut la lecture de l'Imitation de Jésus-Christ qui opéra ce changement, à ce qu'il assure lui-même. Il traduisit le Psautier, et écrivit plus tard des mémoires en faveur du culte catholique.
Rendu à la liberté, il remonta dans la chaire du Lycée, où, depuis lors, ses critiques littéraires furent entremêlées de réflexions pieuses. Il rassembla ensuite ses le?ons pour en former ce Cours de Littérature ancienne et moderne, qui est sans contredit le meilleur ouvrage de Laharpe, et qui a rempli une lacune considérable dans la littérature fran?aise, quoiqu'il ait de grands défauts, tels que la disproportion de certaines parties, surtout de la littérature ancienne relativement à la moderne; la partialité de divers jugemens, etc. Mais ces défauts sont amplement compensés par l'analyse habile des chefs-d'oeuvre littéraires, par l'éclat d'un style toujours approprié au sujet, et prenant tous les tons suivant les divers genres de littérature, enfin, par le go?t qui a dicté les règles prescrites par l'auteur aux écrivains modernes. Quoique très-volumineux, cet ouvrage important aurait pourtant été plus étendu encore si l'auteur e?t vécu plus long-temps, ou s'il e?t commencé plus t?t à s'en occuper, et si des occupations moins utiles ne l'eussent interrompu.
Les orages politiques de la France s'étaient calmés, mais Laharpe ne retrouva plus le repos, qu'au reste il n'avait jamais cherché beaucoup. Si d'un c?té ses le?ons littéraires furent accueillies avec beaucoup d'applaudissemens par la France régénérée, ses sorties contre la philosophie qu'il avait défendue autrefois, et la publication de sa correspondance secrète avec le grand-duc de Russie, lui firent beaucoup de tort dans l'opinion publique, et lui attirèrent de nouvelles inimitiés. Le gouvernement consulaire, qui affectait encore de protéger les idées libérales, persécuta Laharpe pour ses opinions religieuses, et l'exila de Paris. Quelques ans plus tard il lui aurait proposé peut-être d'écrire dans ce sens, pour raffermir la monarchie absolue. On assure pourtant que Laharpe avait refusé une pension que Bonaparte lui avait offerte. Dans l'intérieur de son ménage Laharpe n'avait pas été plus heureux que dans ses relations extérieures. Sa première femme, dégo?tée de la vie, s'était noyée. Laharpe se remaria, mais ce nouvel hymen fut de courte durée: sa seconde femme l'abandonna.
Exilé d'abord à vingt-cinq lieues de Paris, Laharpe obtint la permission d'habiter Corbeil; et, pour soigner sa santé déclinante, il put revenir à Paris, où il ne fit plus que languir. Il mourut le 11 février 1803. Laharpe était petit de taille; il avait une élocution facile;
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