Abrégé de lHistoire Générale des Voyages | Page 6

Jean François de la Harpe
quelques courtisans désoeuvrés. La sollicitation des auteurs dramatiques parut être un sujet trop grave pour qu'on p?t se décider légèrement; et de peur de compromettre je ne sais quels intérêts, on laissa les choses comme elles étaient: les gentilshommes de la chambre étaient assis dans les loges; ils n'étaient pas pressés de faire asseoir les gens du parterre.
En 1782, Laharpe composa pour l'ouverture de la salle de l'Odéon, une pièce allégorique intitulée Molière à la nouvelle salle, ou les Audiences de Thalie, qui eut du succès. Il avait traduit par abrégé la Pharsale de Lucain; il traduisit aussi une partie de la Jérusalem délivrée et de la Lusiade du Camo?ns; ne sachant pas le portugais, il avait versifié sa traduction sur une traduction fran?aise en prose. Quand il eut publié son Suétone, on lui reprocha aussi de ne pas bien comprendre le latin, malgré les prix qu'il avait obtenus au collége.
Quoique académicien, il avait concouru pour le prix proposé par l'académie fran?aise au sujet du meilleur dithyrambe aux manes de Voltaire, et comme le prix fut décerné à son po?me, il en abandonna la valeur à celui qui avait obtenu l'accessit. Il fit aussi de Voltaire un éloge en prose: le public avait été choqué d'entendre Laharpe traiter avec rigueur la tragédie de Zulime; la méchanceté prétendait qu'il était irrité d'avoir été oublié dans le testament de Voltaire. Lorsqu'ensuite il fit en prose et en vers l'éloge du grand écrivain que la littérature venait de perdre, la méchanceté supposa encore un motif intéressé à l'auteur, en prétendant qu'il voulait préparer le public à son commentaire sur le théatre du grand po?te. On fut pourtant obligé de convenir que parmi la foule d'écrivains qui avaient célébré Voltaire, aucun n'avait mieux fait sentir les beautés de son génie. Laharpe, dit un de ses contemporains, a beaucoup plus d'esprit que de connaissances, beaucoup moins d'esprit que de talent, et beaucoup moins d'imagination que de go?t; mais il sait parfaitement Racine et Voltaire; et quoiqu'il n'ait pas encore justifié toutes les espérances qu'on avait pu concevoir de l'auteur de Warwick, c'est encore le meilleur élève qui soit sorti de l'école de Ferney. Il est malheureux que les circonstances l'aient obligé à perdre tant de temps à dire du mal des autres, et à se défendre ensuite contre les ennemis qu'il se faisait tous les jours en exer?ant un si triste métier. La plus furieuse épigramme qu'on ait jamais faite sur lui, est le mot de Champfort, mot cruel, mais que Tacite n'e?t pas désavoué: ?C'est un homme qui se sert de ses défauts pour cacher ses vices.? Il ne faut pas oublier que Champfort avait été l'objet d'épigrammes non moins sanglantes. Cependant il est vrai que Laharpe scandalisa un peu le public par les hommages publics et éclatans qu'il rendit à une danseuse d'une mauvaise réputation. Une maladie de peau qui suivit ces amours, et dont la médisance fit une lèpre, attira au mauvais po?te de nouveaux lazzis. Sophie Arnoud prétendait que cette lèpre était la seule chose que Laharpe e?t des anciens.
Ce qui prouve encore contre Laharpe, c'est qu'ayant été chargé d'une correspondance littéraire par le grand-duc Paul de Russie, il y déchira à belles dents des ouvrages dont il avait presque dit du bien dans les feuilles publiques. Un homme qui souffle le chaud et le froid ne peut être très-estimable, à moins qu'on ne veuille dire pour l'excuse de Laharpe, qu'il ménageait par égard la réputation des auteurs contemporains devant le public, et qu'il ne voyait pas d'inconvénient à dire toute la vérité à un étranger dont il était en quelque sorte le confident. En ce cas il aurait fallu parler moins de soi-même, et prendre des précautions pour empêcher que cette correspondance confidentielle ne v?t jamais le jour. Ce fut, au contraire, lui qui donna de la publicité à ces lettres haineuses. Pendant le séjour du grand-duc à Paris, Laharpe, son correspondant, eut occasion de le voir souvent, et il fit les honneurs d'une séance de l'académie fran?aise à laquelle le grand-duc assista avec sa femme et sa suite. Comme la flatterie faisait alors partie de l'étiquette, et même de la réception des princes à Paris, Laharpe lut en face de l'illustre voyageur une ép?tre au comte du Nord (nom sous lequel le grand-duc voyageait); mais en dépit des éloges il choqua les oreilles russes par la fréquente apostrophe de Petrowitz, qui parut ignoble à leur esprit habitué à la soumission.
Laharpe avait toujours vécu indépendant, et subsisté du produit de ses travaux: on le trouvait probablement trop philosophe pour mériter des places, des titres. Il avait été pour peu de temps secrétaire de l'intendant des finances Boutin; cette charge était trop assujétissante pour un homme habitué aux charmes du commerce des muses. Il la quitta et n'en reprit point d'autre;
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