Abrégé de lHistoire Générale des Voyages | Page 5

Jean François de la Harpe
de religieuse, tandis que l'auteur se chargeait de celui du héros de la pièce. La plus belle assemblée assista à cette représentation. Dorat s'y trouva sous les auspices de la ma?tresse de la maison, et se réconcilia solennellement avec l'auteur de Mélanie, en dépit de toutes les épigrammes qu'ils s'étaient mutuellement lancées. L'archevêque de Paris fut scandalisé de la nouvelle de la représentation d'un sujet religieux, et obtint que la seconde représentation ne p?t avoir lieu. Telle était alors la puissance du clergé.
Il para?t que la réconciliation politique des deux po?tes et rivaux ne tint pas long-temps, et que de nouvelles attaques mutuelles les brouillèrent comme auparavant; mais Laharpe y mit fin par un trait de générosité, ou si l'on veut de justice, en renvoyant, dit-on, à son adversaire un paquet de lettres scandaleuses qu'un inconnu avait mises en son pouvoir, et dont la publication pouvait ruiner la réputation de Dorat. En prenant part à la querelle des Gluckistes et des Piccinistes, qui fut poussée, comme on sait, à un point extrême, Laharpe, qui s'était prononcé pour les derniers, se fit de nouveaux ennemis parmi les Gluckistes.
Cependant, au milieu de toutes ses distractions, il se livra sans relache à de nombreux travaux littéraires. Sollicité par de puissans amis, il s'était chargé de la rédaction de la partie littéraire du Journal de politique et de littérature où son ennemi Linguet l'avait précédé. Il donna au théatre les tragédies de Menzikoff, des Barmécides et de Jeanne de Naples. Il traduisit en beaux vers le Philoctète de Sophocle, et sa poésie réussit à faire go?ter aux Fran?ais sans le secours des choeurs le plan si simple du po?te grec; ce fut un des plus beaux triomphes de Laharpe. Coriolan fut donné la première fois à la fin de l'hiver rigoureux de 1784, pour la représentation destinée par les comédiens fran?ais au bénéfice des pauvres. Le public sut gré à Laharpe de son désintéressement, et assista en foule à cette représentation brillante. Cependant les juges sévères trouvèrent trop de déclamation et trop peu d'action dramatique dans la nouvelle tragédie de Laharpe; ses rivaux ne manquèrent pas l'occasion de le poursuivre de nouvelles épigrammes. Tout le monde conna?t celle de Champfort:
Pour les pauvres, la comédie Donne une pauvre tragédie; Nous devons tous en vérité, Bien l'applaudir par charité.
Rhulières s'égaya dans son épigramme sur cette famille de héros tragiques tous mort-nés. Pour se venger, Laharpe fit charitablement, dans un quatrain, le portrait des deux po?tes.
Les tragédies précédentes n'avaient pas eu un grand succès; Jeanne de Naples fut redonnée avec un nouveau déno?ment que le public go?ta mieux que le premier; néanmoins le défaut d'intérêt fit tort à cette pièce comme aux deux autres. Les Brames, tragédie philosophique, dans laquelle Laharpe avait imité Voltaire, sans être capable de créer d'aussi grands ressorts dramatiques que ceux des tragédies de Mahomet et de Gengiskan, furent écoutés jusqu'à la fin; mais le public ne revint plus, et, pour ne pas prêcher dans le désert, les prêtres indiens furent retirés par l'auteur. On appela les cinq actes de cette tragédie les cinq sermons de l'abbé de Laharpe; on raconta aussi que plusieurs années auparavant l'auteur, ayant fait une lecture de sa pièce dans une société réunie chez mademoiselle de l'Espinasse, fut convaincu par les observations des auditeurs de l'impossibilité de faire réussir une pièce d'un intérêt aussi faible, et la jeta au feu; aussi ceux qui avaient été témoins de ce sacrifice ne furent pas médiocrement surpris de la voir rena?tre sans savoir comment. Enfin, pour dernière tribulation, il eut à essuyer une parodie, où, lors du déno?ment, on jetait dans un gouffre tout ce qu'il y avait sur le théatre, même une harpe. La police défendit cette allusion personnelle, mais le parterre redemanda la harpe, et il fallut la jeter avec le reste dans l'ab?me.
Malgré l'accueil froid qu'avaient re?u la plupart des tragédies de Laharpe, il ne craignit pas de les rassembler et de les faire para?tre. Dans la préface du premier volume, il prédit la décadence du théatre, et ne trouve que deux moyens de la prévenir. Ces moyens sont l'érection d'un second théatre fran?ais, et la substitution d'un parterre assis à un parterre debout. Il a fallu du temps pour que deux moyens si simples fussent essayés. L'expérience a prouvé qu'ils ne suffisent pas pour prévenir la décadence de l'art dramatique; cependant on s'est convaincu de leur utilité, et sous ce rapport, on a d? souhaiter que les voeux de Laharpe eussent été exaucés plus t?t. Il avait fait réellement des démarches, de concert avec d'autres auteurs dramatiques, pour faire asseoir le parterre; mais dans ce temps le gouvernement, ou plut?t la cour, se mêlait de tout, et la moindre réforme, la moindre amélioration qu'il s'agissait d'obtenir, ne concernat-elle que des banquettes, mettait en jeu les intrigues de
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